En Islande, les récits sont partout: au fond des fjords, au pied des volcans, dans la tête de chaque habitant – qu’il soit libraire, chercheur,...
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En Islande, les récits sont partout: au fond des fjords, au pied des volcans, dans la tête de chaque habitant – qu’il soit libraire, chercheur, activiste ou fermier. Impossible de mettre un point final à cette Exploration sans se pencher sur ceux qui les créent, les colportent, les font vivre: les écrivains. Au pays des histoires, ceux qui vivent de leur plume sont-ils rois?Il était une fois un petit royaume situé sur une île isolée, battue par les vents, mangée par les glaces. Le poisson en abondance, les sources géothermales et les histoires formaient sa principale richesse. Les vikings y étaient arrivés de bonne heure, au 9e siècle, et se sont transmis un trésor: les sagas, ces épopées narrant les hauts faits de leurs ancêtres explorateurs, guerriers, marins, agriculteurs.Peu à peu, ces chansons ont été couchées à l’écrit. Parmi ceux qui rendirent les sagas immortelles, il faut mentionner Snorri Sturluson, poète et historien des 12 et 13e siècles, qui fut aussi homme politique et diplomate. «Cet homme était une combinaison d’Iron Man, de Captain America et du Dieu Odin», décrit le romancier contemporain Jon Kalman Steffanson dans son livre Ton absence n’est que ténèbres. «Personne n’égalera jamais Snorri. Jamais.»Et puis la guerre civile frappa le jeune royaume, dans la première moitié du 13e siècle, tandis qu’un hiver polaire s’abattait sur ses rives. Les scientifiques parlent de «petit âge glaciaire». L’Islande passe sous domination étrangère, d’abord norvégienne puis danoise, pour un demi-millénaire. La renaissance nationale se fera via une poignée d’écrivains, dont le poète romantique et nationaliste Jónas Hallgrímsson. Le pays recouvre son indépendance en 1944, et avec elle, ses histoires. Créer des mondes Une romancière rencontrée dans un café m’a livré une théorie originale, que je mentionne ici: si la littérature a pris une telle place dans la culture islandaise, c’est qu’il s’agit d’une pratique artistique qui ne demande pratiquement aucun moyen – contrairement à la musique ou à la peinture, par exemple. Or, l’île est longtemps restée à la traîne en termes de développement.Quelles qu’en soient les raisons – tradition orale épique, influence des sagas au fil des siècles, isolement et insularité, réflexe national face à l’adversité –, la tradition a perduré au cœur de la culture islandaise de donner ses lettres de noblesse au métier d’écrivain.Bienvenue au royaume d’Islande, de nos jours. A Reykjavik, surnommé la «baie des fumées» par les premiers vikings, Sigríður Hagalín Björnsdóttir nous reçoit dans sa maison en bord de lac. Dans ce palais, la plupart des murs sont des livres. Elle-même en a six à son actif, traduit en de multiples langues. On entend le ronron lointain d’une imprimante en plein travail. En islandais, nous avons une expression: skáldskapur. Ca veut dire un univers qu’on écrit, qu’on conçoit à travers un poème, un roman. Vous aurez peut-être reconnu dans skáldskapur le mot «scalde», ce poète scandinave précurseur de nos troubadours et autres trouvères. Construire un monde à base de mots: c’est le sens profond de ce terme. On se souvient que Tolkien, le plus fameux des écrivains bâtisseurs de monde, a trouvé son inspiration initiale dans les sagas islandaises, qu’il connaissait sur le bout des doigts. La magie des mots Sigríður est fascinée par ce pouvoir qu’ont les mots de façonner le monde: Ecrire, c’est comme être sur un petit bateau au milieu d’un océan immense. Vous pouvez aller dans toutes les directions qui vous importent. Vous pouvez faire un tour dans le ciel. Le bateau peut aussi devenir sous-marin et explorer les profondeurs. C’est comme un voyage: lorsque vous écrivez, vous ne savez pas où le livre vous mène. Sigríður n’est pas n’importe qui en Islande. Journaliste de formation, formée à Columbia, elle dirige le service des informations de la télévision publique du pays et présente le journal télévisé. Malgré cette belle carrière, elle a vite ressenti le besoin d’ajouter une corde à son arc: Je suis devenue journaliste il y a 25 ans parce que c’était ma vocation. Je voulais penser et raconter le monde à travers le journalisme. Plus tard, j’ai pris conscience qu’on ne peut pas vraiment comprendre et décrire le monde par ce seul biais. Le monde a besoin de poésie, d’écriture créative et de conception d’univers – de skáldskapur, pour comprendre la vie. L’édition pour tous Le goût des Islandais pour la fiction connaît son paroxysme autour des fêtes de fin d’année – nous avons déjà évoqué le phénomène unique du Jólabókaflóð, le déluge des livres de Noël. A cette période, il est d’usage que tous les Islandais reçoivent au minimum un livre sous le sapin, de sorte que la rentrée littéraire coïncide avec l’Avent.«Tout le monde veut être publié avant Noël», confirme Ana Léa Freidriksdottir, éditrice et libraire basée à Reykjavik. Dans son élégante librairie aux tons bruns, on peut aussi bien commander un verre de vin qu’un chocolat. Ana Léa voit sa librairie comme un endroit festif: tous les mois, à l’occasion de «book pub quiz», des auteurs viennent tester les connaissances littéraires des habitués. Ici, tout le monde se connaît, il y a beaucoup de proximité et tout le monde peut venir rencontrer son auteur favori sans que ce soit exceptionnel. La Reykjavik littéraire n’a rien d’une fiction pour touristes, comme nous l’avons vu. «Quand un Islandais s’ennuie, soit il ouvre un musée, soit il écrit un livre», affirme un dicton. Et de fait, le marché de l’édition est d’une vivacité notable: on décompte 1000 ou 1500 nouveaux livres chaque année, pour une population qui plafonne à 400’000 habitants. Qui dit mieux?Et voilà pourquoi, selon le poncif, un Islandais sur dix aurait un manuscrit dans son tiroir. Un doctorant australien rencontré à Reykjavik tient à nuancer ce chiffre, souvent repris dans la presse un peu à la légère. Il est probable qu’il incorpore toutes sortes de documents, notamment des mémoires de fin d’études et d’autres textes non littéraires.Il n’empêche, le phénomène de fond est indéniable. Au point que le mot a circulé, et que des écrivains des quatre coins du monde affluent désormais à leur tour sur l’île pour y chercher l’inspiration. Certains se sont eux-mêmes surnommés skaldreki, «écrivain à la dérive», dérivé de l’expression islandaise hvalreki, littéralement «baleine échouée», qui désigne un coup de chance. Des lettres à la politique Dans le café où nous nous rencontrons, Andri Snaer Magnasson semble connaître tout le monde. Ses yeux bleus voguent d’une table à l’autre, il oscille volontiers entre la bonhomie et le sérieux, et nos échanges sont entrecoupés des poignées de main qu’il accorde aux passants venus le saluer. En Islande, entre la littérature et la politique, il n’y a qu’un pas, et Andri l’a allègrement franchi.C’était en 2016. Cet auteur et dramaturge, déjà bien établi sur la scène littéraire islandaise, venait de publier Du temps et de l’eau: requiem pour un glacier, un essai poétique sur le réchauffement climatique (dont le titre, heureux hasard, évoque l’Exploration de Heidi.news sur les glaciers suisses). Déprimé par ses recherches, il décide de se présenter à l’élection présidentielle dans la foulée. Avec toutes ces informations en tête, je me suis demandé: pourquoi ne pas me porter candidat plutôt que d’espérer qu’un futur président lise mon livre? Ici, un auteur a le sentiment qu’il peut mettre des choses à l’agenda. Il obtiendra 14% des voix, pénalisé par son manque de soutien populaire en dehors de la capitale. «En milieu rural, j’étais perçu comme un intellectuel paresseux. Les gens ont dit que j’étais trop radical et que j’aurais mieux fait de me présenter comme député.»De son côté, l’éditrice Ana Léa Freidriksdottir ne cache pas sa fierté d’avoir publié en 2023 le premier livre d’une femme d’affaires, Halla Tómasdóttir. Un an plus tard, à l’été 2024, celle-ci est élue présidente de la république d’Islande. Elle concourait déjà contre Andri Snaer et d’autres en 2016. Des écrivains bien lotis En Islande comme ailleurs, vivre de sa plume n’est pas chose aisée. Mais les conditions de rémunération y sont bien plus favorables qu’ailleurs. Une vaste enquête du syndicat des écrivains islandais, publiée en 2019 et pas renouvelée depuis, permet de faire la lumière sur le sujet. Là-bas, un livre écoulé à plus de 1000 exemplaires fait figure de franche réussite, et 5000 copies est un score de best-seller. Pour compenser la taille du marché, le pourcentage auteur est très élevé: le syndicat mentionne un exemple de 23% de retour sur les ventes d’un roman (en France ou en Suisse, le taux typique est de 10%). Une proportion substantielle d’artistes touchent un revenu public, fixé à 2762 euros par mois, qui leur permet de stabiliser leurs revenus. En 2019, c’était le cas de 79 écrivains en Islande. A proportion équivalente, c’est comme si l’Etat français rémunérait 14’000 écrivains… D’autres dispositifs existent, comme le paiement de droits d’auteur sur les prêts de bibliothèque, à la fois pour les écrivains et pour les traducteurs vers l’islandais. Sans compter une multitude de prix littéraires, qui jouent le rôle de compléments de revenus. Le paradoxe de la taille On en vient à se demander si la faible population du pays ne finirait pas par constituer un atout plutôt qu’un handicap. «Ce n’est pas si difficile de se faire publier en Islande, le marché est accessible», confirme la libraire-éditrice Ana Léa. «Les gens peuvent traverser la rue et venir directement me rencontrer.»«Pour fonctionner en tant que société, nous avons besoin de produire beaucoup de textes, développe Andri Snaer. On peut traduire des livres de l’étranger, mais les débats d’idées doivent aussi se mener dans notre langue.» Il y aurait donc un effet de seuil, l’Islande en tant que société démocratique ayant besoin d’un nombre minimal d’écrits pour fonctionner. Par exemple, nous avons décidé d’avoir un orchestre symphonique pour nous représenter à l’étranger. Si nous étions 1 million, un seul orchestre suffirait toujours. Mais proportionnellement, un Islandais a plus de chance de l’intégrer. Un moment islandais L’édition locale n’est qu’un versant du monde des lettres islandais: la grande réussite, pour les écrivains du pays, c’est de s’exporter vers d’autres marchés pour s’adresser à un lectorat plus vaste. «Les touristes sont de grands lecteurs de littérature islandaise», précise Anna Léa, qui propose dans sa librairie des ouvrages islandais traduits. Ce n’est pas un détail, dans un pays qui accueille plus de 2 millions de visiteurs par an.C’est ainsi que la littérature islandaise est devenue un phénomène d’édition en France, porté par l’engouement général pour la littérature scandinave et le roman noir nordique – avec, en tête de gondole, Arnaldur Indridason, le pape du polar islandais: en moyenne 250’000 ventes par livre traduit en français. Les fjords battus par la neige forment un décor de rêve pour n’importe quel cauchemar. «L’Islande est un bon terrain pour les utopies, mais aussi pour les dystopies», note Ana Léa.En février 2025, Le Monde faisait le portrait d’Eric Boury, un des rares traducteurs de l’islandais au français. Ce professeur de lycée a démissionné en 2013 de l’éducation nationale pour se consacrer entièrement à sa nouvelle activité professionnelle, à l’époque où le secteur commençait à décoller: il compte désormais 80 ouvrages à son actif, dont Sigríður et son romancier de mari. A la conquête du monde En 2020, la majorité des bourses de traduction islandaises concernaient le danois, l’allemand, l’anglais et le français. «Je suis traduit dans environ 45 langues. Le processus pour obtenir une traduction anglaise a été long», confie Andri Snaer. L’écrivain et activiste climatique se déplace très souvent à l’étranger pour parler de l’avenir de la planète et de ses livres: dans ces deux champs d’action, son terrain de jeu est le monde et il ne s’en cache pas.«Au fond de nous, la peur de l’isolation est un vieux sujet», explique en écho Sigríður, qui a exercé son métier de journaliste à New York puis Copenhague avant de revenir au pays: Nous vivons sur une île au beau milieu de l’océan, nos vies ont été suspendues aux allées et venues des navires. Si un bateau ne venait pas pendant un an, nous pouvions être coupés du monde, privés de toute information. Pour nous, le continent a toujours représenté la liberté. De là à dire que les auteurs d’Islande perpétuent l’héritage des équipées vikings, il n’y a qu’un pas. Le petit royaume battu par les vents a depuis longtemps laissé tomber les épées et les haches, il n’a jamais fait la guerre et ne possède même pas d’armée. Mais, porté par le souvenir de ses sagas, il porte une culture conquérante, dont les écrivains sont les premiers ambassadeurs. Epilogue Cette Exploration touche à sa fin. Alors l’Islande, un paradis? Certainement pas. Au pays des glaciers, des éruptions de lave et des tempêtes, on ne peut jamais oublier bien longtemps que la nature bat les cartes comme il lui chante, et qu’elle est, finalement, la plus capricieuse des conteuses. Ici, l’enfer n’est jamais loin du paradis, et beaucoup d’Islandais s’en souviennent.C’est un mariage étrange et fascinant qu’ont établi les habitants avec leur territoire si rude. Comme toute histoire d’amour, elle est tissée de mythes, de jolies fables qu’on se raconte, accrochées à un socle bien réel. Ainsi va l’Islande: à cheval entre deux continents, entre ses sagas et ses attrape-touristes, ses naufrages et ses conquêtes, et d’incessants voyages de la fiction à la réalité.Dans l’adversité, les histoires aident à survivre. «Lire des livres est la meilleure des choses à faire pour se préparer à l’incertitude», conjure Sigríđur Hagalín Björnsdóttir. L’écrivaine-journaliste a en tête le changement climatique qui, ici encore plus qu’ailleurs, s’apprête à bouleverser la vie de tous. Mais que serait une saga sans ses péripéties?C’est la fin de l’Exploration «Pêcheurs d’histoires». Merci de nous avoir lu et rendez-vous sur Heidi.news pour de nouvelles aventures.
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