Maroc - HEIDI.HIDORA.COM - A La Une - 10/Jul 10:23

En désintox aux Pays-Bas, l’invasion russe commence et l’histoire se finit

Dans sa clinique aux Pays-Bas, en compagnie de Scarlett aux yeux morts et du fringant «James Dean», notre journaliste se frotte à l’extrême fragilité des «safe places». Ces lieux sûrs, vantés par les thérapies modernes, doivent aider à s’engager sur la voie de la guérison. Mais en psychologie comme en politique, les safe places sont rarement à l'abri des frappes. Et ainsi se clôt «Ritaline mon amour». Le 7 février 2022, l’armée russe se prépare à envahir l’Ukraine. Les dessins de presse dépeignent un Vladimir Poutine petit et puéril. Sa maman lui a dit d’aller se coucher. Il refuse. Il est fâché, il tape du pied et il dit non. Le plus chou, c’est qu’il profère des menaces. Ce n’est pas que ses menaces nous fassent rire, mais disons qu’elles nous passent au-dessus. Vladimir Poutine a certes grandi. Il a pris du muscle, ses joues ont enflé et, si ça se trouve, sa maman n’a plus la force de le soulever et de le transporter dans sa chambre. Ces choses, nous en avons pris note, et on s’en beurre. On s’en beurre parce que nous sommes ailleurs, parce que nous faisons confiance aux mots, aux protocoles, aux traités et aux lois, et parce que ça fait beaucoup trop d’années que la guerre est derrière. Ayant déserté la chair, ne survivant plus que dans l’imaginaire, la guerre n’est pour nous qu’un concept.Je suis donc aux Pays-Bas, dans ma clinique pour drogués occidentaux en réhabilitation. Après une semaine d’épuisement, de tremblements et de cauchemars, ma détox de speed et de somnifères arrive à son terme. Je décèle un regain d’énergie et j’en suis heureuse. L’enjeu désormais, c’est d’anticiper la chute des antidépresseurs. Cette chute ne va pas arriver tout de suite. D’après mes calculs, il me reste encore une bonne semaine avant que la machine tombe en panne. Après, il va falloir tenir. Le creux de la vague, je prévois de l’atteindre trois à quatre semaines après interruption du traitement, soit aux alentours du 20-28 février. Il me restera alors trois semaines en clinique et ces trois semaines seront, je le sais, aussi pénibles que décisives. Ode aux psychologues Il est 10h30. Je sors d’une session de MBT, mentalization based therapy. En français, MBT se traduit par thérapie basée sur la mentalisation. Les adultes paumés que nous  sommes, nous réunissons dans la salle polyvalente de la clinique. Ensemble, dans cet espace qu’on nous encourage, à coups de slogan et de propagande, à visualiser comme un safe place, un lieu sécurisé, nous apprenons, main dans la main, à apprivoiser nos affects, nos limites et nos peurs. Nous le faisons dans la bienveillance et le partage. Nous nous abstenons de juger autrui et nous nous soumettons. Nous nous soumettons à ceux et à celles qui savent ce que nous ignorons. Ces derniers sont, pour la plupart, des jeunes psychologues sans expérience qui, au vu de leurs âges et de la durée moyenne de leurs contrats, sont payés au lance-pierres.Je crache, mais en psychologie, pour en avoir vu des vertes et des pas mûres, l’incompétence n’est pas un tort. Elle protège. Ne disposant pas des ruses et des armes de l’habile connaisseur, l’apprenti-sorcier psychologue n’agresse en général que les couches extérieures et superficielles de sa proie. Il égratigne. L’autre en revanche, le professeur émérite de psychologie, l’homme admiré, admirable, respecté et craint de tous, atteint beaucoup plus directement et sournoisement les profondeurs de l’intime. Une fois qu’il y est, dans ces strates molles et vulnérables, sa victime, il la tient. Elle est sienne. L’ayant réduit à une pelote de laine, il peut jouer, expérimenter et la détruire en toute impunité. La bande de l’asile Après ma session de MBT, je me rends à la cafétéria. Je remplis ma tasse d’eau chaude et m’installe autour d’une table. A mes côtés, un ex-héroïnomane sous méthadone de 47 ans qui travaille dans l’évènementiel, un assistant de médecine légale de 38 ans qui travaille dans une morgue et s’est fait pincer en dealant de la coke, et un sociothérapeute de 34 ans qui s’appelle Chris. Chris travaille dans la clinique et semble prendre plaisir à traîner et à discuter avec nous. Il participe à nos tournois de ping-pong, nous rejoint parfois derrière le parking pour fumer des clopes et, alors qu’on devrait s’en méfier, on ne veille pas toujours à ce qu’on dit devant lui.A l’aide de ma cuillère, j’égoutte mon sachet de thé et je leur explique, à ces trois mecs, qu’ils sont cuits. Mes pauvres amis, vous n’avez même pas idée. Vous êtes des hommes, vous êtes blancs, vous êtes hétéro et je suis navrée de devoir vous l’annoncer, mais vous êtes faits. Votre place dans le discours se réduit à ça. Zéro. Si j’étais vous, je songerais sérieusement à replonger dans la drogue. Mon voisin de palier, celui que j’appelle James Dean, rejoint la conversation. Je le surnomme ainsi parce qu’il ressemble vaguement à l’acteur, mais en réalité, il me rappelle surtout Matt. Matt, qui maintenant que j’y repense, ressemblait lui aussi vaguement à l’acteur et donc à James Dean, était mon compagnon de séchage de cours au collège Calvin. Impertinent à souhait, débordant d’énergie, il parlait tellement fort que dans la cour du collège, on n’entendait que lui. Matt, tu résonnes jusqu’à la cathédrale, lui disait-on. Fougueux, imprévisible, sentimental et séducteur, Matt savait mieux que quiconque susciter l’inquiétude de ses proches. Le jour de ses 16 ans, par exemple, il a planté la voiture flambant neuve de sa mère dans un arbre. Heureusement, il vivait à Choulex, au milieu de la terre et des taupes, et non au centre-ville. Au collège, on se lassait jamais de se moquer de ses frasques et du nombre incalculable d’âneries qu’il était capable de prononcer en un temps record. On se moquait de lui, mais avec une tendresse infinie, parce que nous savions tous que sans sa présence, Calvin se serait transformé en cercueil. Safe place, mon cul Avant de trouver sa voie, Matt a en effet connu un début de vie quelque peu houleux. Aujourd’hui, et depuis plusieurs années déjà, il travaille dans l’industrie de la musique à Los Angeles. Il  est père de famille, sportif et végan. Aux dernières nouvelles, ce serait devenu le plus stable, le plus réglo et le plus chiant du lot.James Dean, c’est donc la copie conforme de Matt étant jeune. Il a 25 ans. Il a la même dégaine, le même humour débile et il entame sa troisième semaine dans cette clinique. Hier matin, il m’a vue toute nue. Je venais de sortir de ma douche. J’étais debout dans ma chambre et je m’enduisais de crème hydratante. James Dean, qui portait un casque de musique sur les oreilles, a ouvert grand la porte. J’ai hurlé. Il a levé la tête. Il a hurlé à son tour. J’ai recouvert mes parties de mes mains et de mes bras. Il est ressorti en s’excusant bredouille et depuis lors, on se charrie. «Safe place, mon cul oui», lui dis-je à présent «Je vais surtout devoir porter plainte.»Voir plus