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Savoir fait partie de ces termes courants aux acceptions si diverses qu’on finit par ne plus les interroger. Dans un monde saturé d’informations, tout le monde pense « savoir » : la croyance reprend de la vigueur face à la rationalité, la vérité trébuche devant le relativisme des points de vue. Outils d’influence, les « fake news » font florès, servant toutes les manipulations. Concurrencée, l’École voit sa légitimité affaiblie. La transmission ne va plus d’évidence. Le savoir présenté comme « vérité révélée » est parfois contesté, ravalé au rang de croyance. Démocratiser l’École et renforcer sa portée émancipatrice nécessite de repenser le mode d’accès aux objets scolaires, dont la valeur est mise en doute, relativisée voire déniée. Comment sortir de la confusion ? D’indispensables distinctions… Jean-Pierre Astolfi nous invite à ne pas confondre information, savoir et connaissance, amalgame communément indifférencié source de nombreux « échanges de sourds ». L’information (du latin informare : donner une forme), désigne des faits, des commentaires ou des opinions sous différentes formes : écrites, orales ou visuelles, qui en permettent la circulation et le stockage. Objet autonome extérieur au sujet (objective), l’information peut être mémorisée sans que cela fasse de lien avec l’acquis antérieur. L’apprentissage est alors mécanique plus que signifiant, restant extérieur à son système conceptuel. La connaissance (étymologiquement : naître avec) est le résultat intériorisé de l’expérience individuelle de chaque individu, consubstantiel à son histoire. Recombinaison spécifique de l’information prélevée par chacun dans son environnement, la connaissance est en lien avec l’affectif, le social, les valeurs, le désir, donc empreinte de subjectivité. Les recherches en didactiques ont montré que chaque élève s’est forgé des idées sur les choses qu’on lui enseigne, conceptions personnelles qui s’avèrent tenaces, facteurs de résistances importantes, qui interfèrent avec le projet d’apprentissage voire le mettent en faillite. Le savoir (du latin sapere : avoir de la saveur) résulte lui d’un important effort d’objectivation, est le fruit d’un processus de construction intellectuelle. Si les savoirs sont redevables à tout un processus socio-historique, leur appropriation par chaque être humain, pour être effective et opératoire, passe par une recréation émancipant des conceptions anciennes. Le savoir est construit par le sujet, fait l’objet d’une formalisation théorique. Il permet de « lire » autrement la réalité, de poser de nouvelles questions. Pour Karl Popper, si l’information est en rapport avec le Monde 1 (objets et états physiques), la connaissance renvoie au Monde 2 (expériences subjectives et états mentaux), alors que les savoirs renvoient au Monde 3, celui des « contenus de pensée objectifs », résultant de l’effort de construction intellectuelle, comprenant « les systèmes théoriques », mais (aussi) les « problèmes et les situations problématiques ». Il ajoute : « J’affirmerai que les habitants les plus importants de ce monde sont les arguments critiques, ce qui pourrait être appelé l’état d’une discussion ou l’état d’un argument critique ». … en lien avec des modes d’enseignement Les modalités d’enseignement s’appuient sur ces diverses conceptions du savoir. Qu’il soit le plus traditionnellement frontal ou dialogué, l’apprentissage par transmission s’appuie sur un savoir conçu comme information… produit fini, réifié qu’il suffirait de transmettre clairement dans sa forme aboutie pour qu’il soit évident pour l’élève. On en connaît les limites. Cela ne fonctionne qu’avec les élèves déjà motivés et partageant les prérequis nécessaires (connaissances préalables et réflexion en phase avec l’enseignant) lui permettant d’intégrer ces apports dans un système déjà organisé ou de le restructurer. L’apprentissage par stimuli-réponses (de type behavioriste) découpe chacune des étapes de l’apprentissage et amène les élèves à les traiter les unes après les autres, présupposant qu’à terme, leur addition suffira à maîtriser le processus d’ensemble. Or, on n’est jamais sûr que le tout se confonde avec la somme des parties qui le composent. Dans une telle approche, on peut très bien réussir sans comprendre… L’enseignement programmé, assisté par ordinateur ou la pédagogie par objectifs relèvent de ce modèle. S’il peut être opératoire pour acquérir des automatismes ou des savoirs d’action, il est inefficace pour la construction de concepts. L’apprentissage passant par la recherche et l’expérience fait une place beaucoup plus importante au sujet qui apprend. Plus motivants, l’observation et le tâtonnement expérimental – outre le fait qu’ils sont coûteux en temps et laissent en jachère les domaines ne correspondant pas aux « intérêts spontanés » de l’enfant – peuvent amener à confondre le savoir avec la connaissance empirique. Les approches constructivistes (ou plutôt néo-constructivistes post piagétiennes, appelées encore socioconstructivistes) privilégient la relation ou plutôt le rapport des élèves au savoir, prennent appui sur la spécificité de ceux qui apprennent, placés en situation de se construire leur propre savoir à travers des démarches de recherche, d’invention. Les situations de ce type exigent de croiser les éléments épistémiques (connaissances et conceptions préalables des élèves) et épistémologiques (contexte problématique d’origine et façon dont le savoir s’est historiquement élaboré, en rupture par rapport aux modèles et façons de penser antérieurs). Pour mettre les savoirs en culture Ce n’est pas par des voies de renoncement que l’on peut démocratiser l’accès à la culture, mais par un regard optimiste sur les capacités des élèves associé à une conception ambitieuse des savoirs, qu’il s’agit de « mettre en culture ». Comment entendre cette formule ? Restituer la plénitude du sens des contenus nécessite de les appréhender au regard de leur genèse, comme termes d’un processus socio-historique jalonné d’obstacles dépassés et d’erreurs rectifiées, élaboration sanctionnée par un débat critique exigeant. Objets d’un processus cumulatif de génération en génération, c’est ce patrimoine qui constitue la culture d’aujourd’hui, que l’institution scolaire notamment est chargée de transmettre. Comment assurer ce passage auprès de tous ? Transmis dans leur forme faite, ces objets culturels perdent les motifs qui les légitiment et l’argumentation critique qui les justifie. Double faillite du sens et de l’exercice de la rationalité, préjudiciable à la formation intellectuelle et citoyenne des élèves. A contrario, « mettre les savoirs en culture » c’est en permettre la (re)découverte par la recherche collaborative et une conceptualisation progressive en phase avec les étapes majeures du passé. Ainsi mise en scène, l’histoire culturelle développe le sentiment d’inscription dans une filiation anthropologique qui « en impose » plus qu’elle n’impose… Au regard de l’épistémologie, quels sont les ingrédients majeurs d’une telle approche, qui pourraient inspirer les pratiques pédagogiques ? Un questionnement originel… Que ce soit pour mesurer l’inaccessible, comprendre les éruptions volcaniques ou vaincre les maladies, tout savoir a été tentative de résoudre une énigme. Il ne suffit pas de recevoir une pomme sur la tête pour interroger le phénomène. « Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question (…). Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ». Les propos de Vygotski font écho : « les recherches ont attiré l’attention sur le caractère productif, créateur, du concept, élucidé le rôle essentiel joué par l’élément fonctionnel dans l’apparition du concept, souligné que c’est seulement dans le processus d’une activité appropriée à une fin, douée de sens, orientée vers un but déterminé à atteindre ou la solution d’un problème donné, que peut apparaître et prendre forme le concept ». Or l’école a tendance à répondre à la question avant qu’elle se soit posée aux élèves. Comment s’étonner de leur manque d’intérêt ? Inventer, (re)découvrir Réécoutons Bachelard : « (…) les professeurs remplacent les découvertes par des leçons. Contre cette indolence intellectuelle (…), l’enseignement des découvertes le long de l’histoire scientifique est d’un grand secours. Pour apprendre aux élèves à inventer, il est bon de leur donner le sentiment qu’ils auraient pu découvrir » (p.247). Là encore, écho avec la psychologie. Pour Piaget, « une vérité n’est réellement assimilée en tant que vérité dans la mesure seulement où elle a été reconstruite ou redécouverte au moyen d’une activité suffisante ». Chaque réponse ouvre de nouvelles questions, pour les scientifiques… comme pour les élèves. Quand le réel devient plus intelligible, cela développe le besoin d’étendre sa maîtrise. Rompre avec les évidences Le socle initial de la connaissance se fonde sur l’expérience première, le bon sens et l’opinion commune. Si ces « concepts quotidiens » (Vygotski) ont valeur d’usage, ils constituent autant d’obstacles à la connaissance scientifique. Ainsi, ce qui gêne est moins ce qu’on ne sait pas que ce qu’on croit savoir (le Soleil tourne autour de la Terre…), ce qu’on pense évident. « En fait, on connaît contre une connaissance antérieure. (…) Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés » (p.14). Le passage de la connaissance au savoir nécessite une « psychanalyse de la connaissance objective », un travail de deuil vis-à-vis de ses anciens modes de pensée, une « rupture épistémologique » nous dit Bachelard. D’où la nécessité de faire avec et contre les conceptions des élèves. Mettre en relation Bien des objets d’étude exigent l’analyse de leurs composantes mais nécessitent tout autant la compréhension des liens en assurant la structure et/ou la fonction. Les nombres ne prennent leur valeur que dans le système de position ; les lettres changent la leur suivant leur place dans les mots. On ne peut comprendre la digestion sans aborder le rôle des échanges sanguins dans l’intestin ; l’hydrographie peut difficilement être comprise indépendamment du relief ; tel événement historique sans ce qui a précédé, le contexte de l’époque (mentalités, rapports de pouvoir, données économiques, etc.). Ainsi savoir, c’est mettre en relation… de façon pertinente. « Notre mode de pensée nous amène à être lucides pour séparer et myopes pour relier », constate Edgar Morin, au risque de ne plus comprendre le monde environnant. Savoir ne consiste plus à engranger des connaissances. À cette approche encyclopédique, il faut substituer une approche systémique. De l’action à la représentation Pour Piaget, « connaître un objet c’est agir sur lui et le transformer, pour saisir les mécanismes de cette transformation (…) ». Dialectique de l’action et de la pensée que partage Wallon : « L’intelligence, instrument de connaissance, sort de l’action et y retourne ». Ils soulignent les limites de l’expérience pratique : « Le réel, pour être objet de connaissance, ne se donne pas directement à voir, il doit être représenté, construit, interprété, faire l’objet d’une élaboration ». Le langage y joue un rôle central, parfois associé à d’autres modes de représentation. La confrontation met à l’épreuve : « c’est seulement le choc de notre pensée avec celle des autres qui produit en nous le doute et le besoin de prouver. (…). La preuve est née de la discussion ». Le débat de preuve mérite de prendre plus de place dans les classes. S’inscrire dans une histoire Qu’il s’agisse des règles d’orthographe, des nombres décimaux, du carré de l’hypoténuse, du théorème de Thalès, de la théorie des plaques ou de la mise au point des vaccins, bien des savoirs résultent d’essais réitérés, d’échanges et de réaménagements avant d’avoir été stabilisés dans leur forme actuelle. Les formes de transmission courantes en rabotent la portée anthropologique, fondatrice de leur sens. Savoir, c’est s’inscrire dans l’histoire humaine. Les élèves sont avides de connaître cette histoire, se retrouvent dans les errements du passé comme dans les victoires de leur dépassement. Jacques BernardinPrésident du GFEN
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