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Maroc Maroc - HEIDI.HIDORA.COM - A La Une - 11/Apr 15:06

Est-il «mignon» d'écrire sur la déferlante de drogue en station de ski?

Il est l’heure de conclure cette Exploration sur la cocaïne et les ravages de la drogue chez les saisonniers dans les stations de ski alpines. Comme de juste, elle a suscité des réactions contrastées: beaucoup d’intérêt voire de consternation, mais aussi des haussements d’épaules, à base de «tout le monde sait» ou «à quoi bon». Notre journaliste brise la glace pour répondre à cette question.Aux dernières nouvelles qui m’arrivent des stations de ski de Haute-Savoie, un saisonnier s’est fait mordre en soirée, une femme a arraché tous les essuie-glaces des voitures d’une rue, un jeune homme s’est déshabillé dans un appartement qui n’était pas le sien… A défaut de s’arranger, la drogue en station continuera de nous faire rire. Jaune.Voici que sonne le glas de notre plongée dans la poudreuse. Elle a suscité une large palette de réactions, révélatrice des difficultés qu’il a fallu surmonter pour la mener à bien. L’ironie et le haussement d’épaules, d’abord. «Prochain article: “Cocaïne à Ibiza, comment j’ai découvert qu’ils en prenaient tous”», lâche un internaute sur une page Facebook pour saisonniers, qui semble ignorer la différence entre un écho persistant et une enquête journalistique. C’est «attendrissant», «mignon» même, se gaussent d’autres commentateurs. On devine le propos de fond: circulez, rien (de neuf) à voir.![](https://lh7-us.googleusercontent.com/oNJbeC20A56reUzbF-e_qFVYm3or-XaniUg8tGwIjE7zNd8DmW2t08AMzpfA560MPlarHexY7v9vkp3nco2398E4SJRMA77V9GTo6eDblYttvLtV4htXTDGaps8xxrNk15NhZKOGEic24N9oNLOviSc "Quelques commentaires glanés sur une page Facebook de saisonniers sur Morzine et Les Gets (capture d’écran mars 2024).") ### **Une réalité inévitable?** A vrai dire, ces réactions sont rares. Pour la majorité, à en croire les courriers, cette Exploration a été l’occasion de découvrir une face cachée, ou à moitié devinée, des stations suisses et françaises. «*Que ce soit considéré comme une réalité inévitable, et presque obligatoire pour tous, c’est fou*», nous écrit une lectrice. «*Autant de témoignages, je ne m’y attendais pas*», nous avoue un autre. Ils ne sont pas les seuls à avoir été surpris par la banalisation de la cocaïne et consorts en montagne. Beaucoup d’habitants de ces «petites villes» m’ont dit avoir réalisé, en lisant ces lignes, l’ampleur et les conséquences de ce business de l’ombre. Sept épisodes, et plus de vingt heures d’entretiens, appuient ce constat: quand elle est tolérée, la violence s’érige en norme. Il devient alors difficile de s’en défaire, impossible de témoigner, compliqué de lutter contre, et même délicat d’en parler. En témoignent un dernier type de retours. Des remerciements, bien sûr, mais aussi des reproches et des inquiétudes de la part des premiers concernés, les saisonniers et les patrons qui les emploient. S’exprime la peur de voir ce système, le seul qu’ils connaissent, s'écrouler. De devoir trouver des solutions pour changer les choses. ### **Regain de zèle policier** Il n’est pas interdit de penser que l’enquête aura contribué à sensibiliser les pouvoirs publics et à renforcer leur détermination – jusque-là assez molle – à agir. Plusieurs arrestations ont récemment permis d’attraper de «gros poissons». Un habitant des Gets a ainsi été témoin d’une scène étonnante près d’un commerce, le 9 mars 2024 : «*Les policiers étaient là, en civils, en uniformes, au bord de la route et cachés,* nous raconte-t-il. *Ils procédaient à de simples contrôles routiers, mais quand la voiture qu’ils attendaient est arrivée, là ils ont sorti l’artillerie lourde! Le conducteur a été plaqué contre son véhicule, fouille corporelle, chiens. Ils cherchaient de la drogue.*» Voilà qui tranche avec les récits glanés avant parution. Il s’agissait d’une des deux personnes, un employé à Morzine (le revendeur) et son fournisseur, qui ont été condamnés pour trafic de stupéfiants, le 4 avril dernier. Le coup de filet a permis de saisir «*214 grammes de résine de cannabis, 6,5 cachets d’ecstasy, 71 grammes de cocaïne, 25,5 grammes d’herbe, 2735 euros en espèces, un pistolet et 39 munitions*» [rapporte ](https://www.lemessager.fr/649315266/article/2024-04-05/morzineles-gets-deux-hommes-condamnes-pour-trafic-de-stupefiants)*[Le Messager](https://www.lemessager.fr/649315266/article/2024-04-05/morzineles-gets-deux-hommes-condamnes-pour-trafic-de-stupefiants)*, pour qui ce trafic, «a*rrivé aux oreilles d’enquêteurs de la brigade de gendarmerie de Montriond»*, fait «*écho à l’enquête d’une journaliste de la vallée sur l’ampleur de la consommation de cocaïne dans nos stations».* ### **«Je ne ferai pas ça toute ma vie»** Dans ma tête se bousculent les témoignages de saisonniers, de leurs proches et de leurs employeurs qui aimeraient bénéficier d’un meilleur accompagnement, notamment sur le plan de la santé. «*Je ne ferai pas ça toute ma vie, pour ma santé physique et mentale*», raconte Ferdinand, saisonnier dans une station de ski française. «*Je travaille dans le milieu de la nuit, et on m’a fait comprendre que peu importe où j’irai, il y en aura*». Le manque d’accès aux soins en montagne, quand la plupart des saisonniers n’ont ni le temps ni les moyens de descendre en ville, provoque des situations ubuesques.  Une femme m’a écrit sur Facebook pour me raconter le parcours d’une de ses proches, saisonnière à Courchevel. «*Au début, on la félicitait de travailler si dur. Puis à l'âge de 34 ans, elle a fait une grave neuropathie alcoolique. A 38 ans, ce fut une encéphalopathie de Gayet-Wernicke suivie actuellement par un syndrome de Korsakoff, alors qu’elle n’a que 40 ans.*» ### **Vide sanitaire** Thomas Mugnier, responsable de l’Hôtel Bellevue et du bar L’Après-ski aux Gets, dénonce un vide sidéral sur cette question. Certains de ses employés ne sont même pas inscrits à la Sécurité sociale, ou peinent à faire les démarches pour obtenir une mutuelle santé. Quant à la médecine du travail, elle ne se déplace plus aux Gets depuis quelques années. Il faut donc organiser chaque année le transport des employés à Taninges pour les visites médicales. «*De nombreux saisonniers n’ont pas le permis pour s’y rendre, donc on les emmène. Mais franchement, j’ai l’impression de payer pour rien!*», témoigne le restaurateur. «*J’ai amené un jeune saisonnier, alcoolique et toxicomane, qui a parlé de ses addictions et des problématiques que ça lui causait, il est ressorti sans rien. Le médecin du travail m’a dit “mais il va très bien ce jeune homme!”, j’ai halluciné.»* Thomas Mugnier décide alors de mettre en place un test d’alcoolémie à réaliser chaque jour pendant une semaine, mais la solution n’est pas pérenne. En fin de saison, il pose un ultimatum à son employé: «*J’ai appelé un centre de désintoxication. S’il revenait avec un papier me prouvant qu’il y avait été, je le reprenais. Il est revenu sans*», regrette-t-il. Un échec qui en dit long sur le côté inextricable de ces situations. Si la cocaïne, et les autres drogues qui l’accompagnent, semblent enracinées dans la culture des clubs et de la fête, il est tout de même possible de réguler et d’accompagner la consommation, pour qu’elle se fasse dans de meilleures conditions. Je suis allée voir à quoi ressemblait une des principales initiatives en matière de réduction des risques, comme on appelle cette approche. ### **Par un soir de janvier aux Gets** Ce 29 janvier 2024, la salle de la Colombière de la station française des Gets a ouvert grand ses portes. Elle a l’habitude d'accueillir de nombreux évènements: concerts, stand-up, souper paysan... Mais aujourd’hui, c’est une association très particulière qui a investi les lieux. Le collectif Santé Saison 74, qui rassemble plusieurs acteurs du secteur médical et médico-social du département de Haute-Savoie, est venu parler dépistage, vaccination et dermatologie. Il délivre aussi aux saisonniers des informations sur les drogues et les conduites addictives. Dans la chaleur de la salle, une dizaine de personnes discutent autour de tables garnies de snacks et de jus de fruits. * Vous voulez boire quelque chose? Quand j’explique la raison de ma visite, on me fait rapidement un état des lieux. Il est 17h30, sept personnes sont passées aujourd’hui, sur les différents stands ouverts à la fois aux saisonniers et aux habitants du village. «*On espérait avoir plus de monde sur la fin de journée, mais c’est dur de mobiliser des gens sur ces sujets. Ils ont la crainte d’être vus*», m’explique une bénévole. Mael Vincent, organisateur de ces journées de prévention, confirme le constat. «*Les saisonniers se sentent stigmatisés, ils ne veulent plus qu’on les embête avec les problèmes de santé.*» Devant de grands panneaux d’information disséminés dans les deux salles consacrées à l’association, des stands qui proposent chacun d’aborder des problématiques particulières: dépistages, vaccination, addictologie... Mais rien sur la santé mentale. «*C’est vrai qu’on se concentre sur la santé physique, mais peut-être qu’il faudrait s’intéresser à la santé psychique*, concède Mael. *Cela demanderait de tout réorganiser.*» ### **Roule ta paille** Le collectif Santé Saison 74 offre un lieu d’écoute, sécurisé, et sans jugements ni préjugés, aux employés qui passent l’hiver à la montagne. Il se déplace dans plusieurs stations françaises: La Clusaz, Le Grand-Bornand, Chamonix, Avoriaz, Morzine, Les Gets et Flaine. «*Des zones blanches, dans lesquelles les saisonniers, n’ont pas facilement accès aux espaces de dépistage, d’informations et de prévention*». Mael Vincent nous explique que leur présence dépend des partenaires qui s’associent à eux, comme la médecine du travail, la Sécurité sociale, France services… «*Pour La Clusaz, c’est plus simple, grâce au centre hospitalier d'Annecy proche, qui permet au personnel médical de venir nous aider sur une journée de mobilisation*», explique-t-il. En me baladant sur les stands, je repère l’un d’eux, isolé, consacré aux addictions. L’alcool et la cigarette, d’abord, puis les drogues dures comme la cocaïne et la kétamine. Un bénévole, infirmier à Annemasse et spécialisé en addictologie, reçoit les saisonniers qui souhaitent réduire les risques lors de la prise de drogues, mais pas que… «*On leur remet du matériel à usage unique, on leur donne des conseils par rapport aux produits. On peut aussi les orienter vers les stands de dépistage, d’insertion, ou leur donner le contact de centres de soin, si besoin.*» Sur la table, entre les prospectus et les cendriers de poche, on trouve des «roule ta paille»: des carnets de papier cartonnés à usage unique, pour sniffer. Des flacons sont aussi mis à disposition des consommateurs, pour les encourager à se nettoyer le nez avant et après la prise de produits. ### **Désolé du langage** De l’usage simple, à l’usage à risque, puis à la dépendance, il n’y a qu’un pas, et les saisonniers en sont parfois peu conscients. «*Certains viennent avec des questions précises, ou des interrogations par rapport à leurs proches qui en prennent*, explique l’infirmier. *D’autres veulent savoir comment se protéger les uns les autres*». * On m’a parlé d’une addiction plus faible à la cocaïne? * Hmmm… Non. La dépendance existe bel et bien, mais elle ne s'exprime pas forcément au plan physique. * C’est simplement une envie irrépressible d’en prendre? * C’est un peu ça, on parle de dépendance psychique. Un consommateur en manque de cocaïne ne va pas trembler, transpirer, avoir des maux de ventre… * Par contre, il va rencontrer des problématiques de performance sexuelle, non? * Exact. Certains hommes ne parviennent plus à bander, à finir même, désolé du langage! Cela concerne aussi les femmes, chez qui on constate parfois un dérèglement hormonal… Les toxicomanes peuvent même perdre la sensation de plaisir pendant l’acte. Après s’être assuré de l’existence d’une personne ressource, qui pourrait accompagner le toxicomane dans sa démarche, celui-ci est, s’il le souhaite, orienté vers un centre de soin. Il pourra y bénéficier d’un accompagnement multidisciplinaire (médical, psychologique, thérapeutique…). «*Mais aujourd’hui, c’est plus complexe car on a de plus en plus affaire à des polyconsommateurs*» constate l’infirmier bénévole. «*La cigarette de base, l’alcool qui s’y ajoute, le cannabis pour s’endormir le soir, et tout type de drogues en soirée…*» On aborde les risques de passage à l’acte, la difficulté de discuter de ces problématiques avec des personnes extérieures, et cette remarque me rappelle un entretien réalisé quelques jours plus tôt, avec une saisonnière des Portes du Soleil. Cette dernière proposait d’organiser des cercles de paroles, sorte de «narcotiques anonymes», animé par des saisonniers, anciens consommateurs. «*C’est une bonne idée*» confirme l’infirmier, «*ce genre d’espace de libre échange manque en station*». ### **Puisqu’il faut conclure** Je quitte la salle de la Colombière à la nuit tombée, alors que les bénévoles ont bientôt tout chargé dans leur camion… L’initiative, toute positive qu’elle soit, me laisse pensive. Elle montre ce qu’il faut d’énergie pour toucher une portion objectivement faible des concernés. A l’évidence, la drogue en station continuera de couler à flots encore longtemps, à moins que chacun ne se mobilise et prenne ses responsabilités: mairies, employeurs, propriétaires d’établissements de nuit, personnels médicaux, forces de l’ordre, habitants de la station, et, bien sûr, saisonniers eux-mêmes. J’aimerais penser que cette Exploration a contribué à sensibiliser et ouvrir le débat. Alors que j’écris ces lignes, une autre saisonnière de ma connaissance vient de m’écrire. Un de ses amis a tenté de se suicider en cette fin de saison 2024, après avoir accumulé des dettes et un profond mal-être – tous deux en lien avec sa consommation de drogues. C’est peut-être «*attendrissant*» ou «*mignon*», mais que voulez-vous, je ne m’y fais pas.

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