Maroc - LE TEMPS - Tous - 26/Apr 09:21

Laura Rod, activiste du manger «bon, propre et juste»

La coprésidente de Slow Food est aussi rockeuse, enseignante, maman… Son auberge-épicerie joratoise est un laboratoire où l’on imagine de nouveaux modèles économiques pour une profession en criseA première vue, Laura Rod est un pur produit des seventies, issue de deux parents very British, abreuvée de Britpop et née à Lausanne, biberonnée au féminisme et à la méthode Kousmine… «Peu après ma naissance, on a diagnostiqué un cancer du sein très avancé à ma mère, qui a trouvé l’énergie de se battre et de réformer entièrement son alimentation, tout en portant le combat dans les hôpitaux vaudois.» Une énergie folle que la prof d’anglais venue du Yorkshire a transmise à sa fille, si l’on en juge par le côté bouillonnant, tourbillonnant, hyperactif de cette touche-à-tout auréolée d’une crinière de lionne.Coprésidente de Slow Food Suisse, Laura Rod est à la fois une entrepreneuse et restauratrice «classique» – issue de l’Ecole hôtelière de Genève et d’un apprentissage au Beau-Rivage Palace – et une défricheuse de goûts et de «modèles économiques neufs s’appliquant à trois domaines en souffrance». Chaleureuse et cosy, prolongée par une grande terrasse et quelques chambres, son auberge-épicerie joratoise marie en effet les univers de la restauration, du commerce de détail et de l’agriculture. ## Du local et du bio Imaginé en pleine pandémie avec deux associés – son mari Martin, agriculteur, et le néo-agriculteur Fabien Ayer – ce laboratoire de la cuisine de demain recourt à des produits exclusivement locaux, bios autant que possible, selon une philosophie zéro déchet et en offrant à chacun des conditions de travail décentes. Nourrir. Accueillir et partager. C’est ce que fait Laura depuis toujours, avec un parti pris, une réflexion éthique plus marquée encore depuis la pandémie et depuis son élection à la coprésidence de Slow Food Suisse, en mai 2022. Ces prochaines semaines, elle sera du reste candidate avec la même Toya Bezzola – coup de foudre amical et sorte d’âme sœur – à un deuxième mandat, histoire de réaliser leur programme volontariste, ambitieux, «de réforme d’une ONG encore coulée dans un moule des années 1980». Les deux nouveaux visages de la section suisse du réseau mondial du goût sont aussi complémentaires que déterminées à agir à un moment clé: «un tournant en termes d’urgence climatique, de lutte pour la biodiversité et pour le droit à l’alimentation – les systèmes alimentaires étant à l’origine d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre». Autres enjeux cruciaux, la lutte contre le gaspillage et l’injustice sociale, l’accès à l’eau et à l’alimentation qui concernent chacun individuellement et non quelque abstraction collective. Le droit à une juste rémunération pour les producteurs est un autre enjeu que Laura aborde au quotidien de la plus concrète des manières. Concrètement aussi, contribuer à une forme d’économie circulaire et élaborer des modèles zéro déchet consiste à choisir des produits rejetés par la grande distribution – recycler les épluchures des légumes en les séchant ou en les fermentant, en faisant des bouillons; acheter la bête entière et proposer mijotés, terrines et abats de toute sorte; rassir, confire, détailler, transformer pour les rayons de l’épicerie. Tout ceci fait qu’on parvient à réduire le gaspillage à moins de 2%. Pour avoir vécu la discrimination à l’œuvre dans le secteur, Laura Rod a voulu mettre en place un cadre sécurisant pour les femmes (six employées sur sept), admettant les temps partiels et les horaires aménagés, compatibles avec une vie de famille. Ancrer la parité notamment dans une charte de l’entreprise. Elle est passée au fil de sa carrière par nombre d’emplois et de domaines – cuisine ou réception, service et salle, marketing ou cheffe privée pour la famille Landolt, entrepreneuse à l’origine d’un service traiteur –, n’hésitant pas à tout envoyer balader après avoir découvert que ses collègues masculins étaient mieux payés qu’elle. Au bout de quelques mois d’un «ennui mortel» dans une grande régie, la cuisine lui manquait et elle a fini par y revenir avec sa PME modèle.  ## Une semaine de délices Un parcours assez rock’n’roll auquel il faut ajouter l’enseignement: la première Vaudoise à décrocher le diplôme fédéral de cheffe de cuisine forme notamment les apprentis aux métiers de la cuisine. Cette mère de deux filles est aussi musicienne et chanteuse – passée du metal à un rock un rien assagi et essentiellement des reprises de Queen, Blur ou encore Lenny Kravitz, au sein de _The Bremblers_. Le groupe doit son nom vaguement grunge à la paisible campagne morgienne (et à Bremblens) –, où se tient tous les deux ou trois ans le Pop’n’Corn Festival, trois scènes posées dans un verger accueillant des musiciens locaux. Créé avec la complicité de cinq chefs de la région, à commencer par Romano Hasenauer, de l’Auberge de l’Abbaye de Montheron, le festival Jorat, mangez-moi! vise à «faire rayonner les producteurs extraordinaires du Jorat». On y proposera des menus thématiques ultralocaux, un marché des artisans, des plats imaginés autour du sanglier, des volailles locales, des légumineuses ou des céréales d’ici, des vaches ou des cochons des fermes voisines, des fromages et laitages de Corcelles, d’une brasserie artisanale, du safran, du poivre du Sichuan ou de la gamme déjantée de piments cultivés à deux pas. Une semaine de délices du 29 avril au 5 mai, qui rappellera que la très engagée coprésidente de Slow Food n’a pas oublié la revendication, d’hier et de toujours, du plaisir de manger… * * * ## Profil **25 septembre 2010 et 16 décembre 2011** Naissance de ses deux filles. **2019** Voyage initiatique au Costa Rica, marquant une forme de «renaissance». **Mai 2022** Election à la coprésidence de Slow Food Suisse (avec Toya Bezzola), un tournant dans son engagement. **1er décembre 2022** Ouverture de l’auberge-épicerie Ben Ouais, Corcelles-Le-Jorat. **Retrouvez** [tous les portraits](https://www.letemps.ch/dossiers/les-portraits-du-temps) du _Temps_.