Ah ! si l’Europe existait… Si les Européens avaient vraiment compris les enjeux de la construction européenne, si l’Union européenne était...
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Derrière les passes d’armes incessantes entre la Russie, l’Europe et les Etats-Unis de Trump se cache un conflit plus subtil: une guerre cognitive. L'enjeu: le contrôle des esprits, et donc des actions, avec des technologies toujours plus sophistiquées comme l’IA et les objets connectés qui nous viennent de la Silicon Valley. Et comme l’a révélé le vice-président J.D. Vance, les gêneurs sont priés de s'écarter.«Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes», écrivait Machiavel. Depuis le discours du vice-président américain J.D. Vance à la conférence sur la sécurité de Munich, le 14 février dernier, l’administration Trump s’emploie par mille menaces, humiliations et autres chantages à instiller la peur chez les Européens. Pour le moment, elle a surtout réussi à les réveiller. Mais pour autant les Etats-Unis ont-ils renoncé à leurs velléités de contrôler le vieux continent? L’offensive de l’administration Trump se place en tout cas clairement sur le terrain cognitif. Le coup de «l’ennemi intérieur» Au-delà de l’évident divorce géopolitique dans les relations entre les Etats-Unis et l’Europe que consomme le discours de Munich de J.D. Vance suivi par le renversement d’alliance au profit de la Russie sur la question ukrainienne de Donald Trump, les Etats-Unis concentrent leurs attaques non pas sur la Chine, comme annoncé, mais sur leurs alliés traditionnels et en particulier l’Europe. Ces attaques dépassent de loin les relations entre Etats pour déborder sur tous les domaines: économique, avec la menace des barrières douanières, politique, par le soutien à des partis comme l’AfD en Allemagne, et même technologique et cognitif comme le révèle le discours de Munich de J.D. Vance.Selon le vice-président américain, l’Europe ferait, en effet, principalement face à un «ennemi intérieur». Lequel? Celui de cinquièmes colonnes poutinienne et trumpienne avec leurs cohortes de trolls et d’idiots utiles? Non, dans l’esprit de JD Vance, l’Europe bafouerait ses valeurs de liberté d’expression via des institutions qui gênent (ou modèrent) ces derniers.Pour J.D. Vance, pas de limite à la diffusion des fake news produites par les fermes de trolls russes ou à la logorrhée trumpienne sur les réseaux sociaux et autres plateformes internet. Et derrière, pas de limite à la colonisation numérique des esprits menés par des patrons de la Silicon Valley qui se sont ralliés à Trump comme Elon Musk (X), Jeff Bezos (Amazon) ou Mark Zuckerberg (Facebook). La guerre froide de l’information est devenue une guerre chaude. De la guerre de l’information à la guerre cognitive J’en parle avec Quentin Ladetto, responsable de DefTech, le dispositif de prospective technologique au sein d’Armasuisse – un peu notre version helvétique de «Q» dans James Bond. Nous convenons que le discours offensif venu des Etats-Unis entre effectivement dans le champ de la guerre de l’information. Par exemple, J.D. Vance laisse entendre que l’Europe pratique la censure, en prenant l’exemple de la décision d’invalider le résultat de l’élection présidentielle roumaine par la cour constitutionnelle du pays pour cause de propagande russe. Il sous-entend donc que cette institution ne serait pas souveraine. Vu la gravité de l'accusation, cela demanderait quand même quelques preuves. D’autant qu’on n’a pas vu d’assaillants du «capitole» roumain estimant que le résultat de l’élection aurait été volé. Mais qu’importent les faits à l’heure de la post-vérité…Nous convenons aussi avec Q que JD Vance, qui relaie les intérêts de la Silicon Valley vu sa proximité avec Peter Thiel, cofondateur de l’entreprise de surveillance numérique Palantir, a aussi dans son viseur les réglementations que l’Union européenne tente d’imposer à des réseaux sociaux, presque tous américains, comme le règlement européen sur les services numériques (DSA).Je fais aussi remarquer à Quentin Ladetto que la seule alternative à l’échelle, Tik ToK, est chinoise. Et qu’il est curieux qu’après une tentative de bannissement par l’administration Biden, celle de Trump ne propose pas dans ce cas la liberté d’expression totale qu’elle défend en Europe mais veut forcer la vente de ce réseau à un acteur américain. C’est à ce point qu’il m’ouvre au concept de guerre cognitive.Il y a 27 ans, j’avais eu l’occasion d’interviewer Peter Regli, alors chef des renseignements suisses, en compagnie de mon collègue Pierre Pauchard de Bilan. L’homme connaîtra ensuite un destin que l’on qualifiera pudiquement de controversé. Mais un an avant sa démission, il nous avait livré une analyse visionnaire et même un peu prophétique.En substance, il analysait le futur de la guerre sur le terrain de l’information. Longtemps avant Facebook, Wikileaks, Snowden, l’affaire Cambridge Analytica, les fermes de trolls de Prigojine ou la transformation de Twitter en X par Elon Musk, Peter Regli prédisait que ce serait là que se joueraient les guerres futures: sur le terrain de la cybersécurité et surtout sur celui de l’influence avec des sortes de cinquièmes colonnes 2.0 qu’il ne serait plus nécessaire d’infiltrer mais plutôt de recruter en ligne. Le paradoxe de la tolérance Difficile de ne pas voir qu’on est en plein dedans et que la défense de la liberté d’expression se retourne contre elle-même quand elle consiste à défendre la liberté de dire n’importe quoi, y compris des mensonges avérés, des insultes blessantes et autres post vérités. C’est le piège des démocraties, sur lequel avait averti le philosophe Karl Popper dans son ouvrage de 1945 La société ouverte et ses ennemis. Il décrit ainsi ce qu’on a coutume d’appeler le paradoxe de la tolérance: «La tolérance illimitée ne peut que conduire à la disparition de la tolérance. Si nous accordons une tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas prêts à défendre une société tolérante contre les assauts des intolérants, alors les tolérants seront détruits, et la tolérance avec eux.»Je vous laisse juge de savoir si ce n’est pas exactement ce piège qu’a posé J.D. Vance à Munich en accusant les Européens d’être intolérants à certains excès de la liberté d’expression. Et aussi de juger de l’hypocrisie d’un élu dont l’administration s’est empressée, au nom d’une idéologie revendiquée, d’interdire certains mots (climat, femme, inclusion, etc.) dans la recherche scientifique et de s’apprêter à passer sa version de censure numérique avec le «Take it down Act». On ne peut s’empêcher de remarquer que, comme le disent les enfants dans la cour de récréation, dans le cas de M. Vance, «c’est celui qui dit qui est». Le contrôle des esprits Ces exemples montrent que la guerre de l’information longtemps conçue principalement dans le champ des infrastructures et de la cybersécurité a franchi une étape. Elle entre désormais dans le champ cognitif des représentations de la réalité. Et de la manière de les influencer. Quentin Ladetto me l’ayant conseillé, je pose la question d’une éventuelle déclaration de guerre cognitive des Etats-Unis à l’Europe à un spécialiste du concept: Jean-Marc Rickli, directeur des risques globaux et émergents au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP). Sa réponse fait froid dans le dos. En substance: ce n’est que la pointe de l’iceberg.«Avec la guerre l’information, explique-t-il, l’idée est de contrôler un flux d'informations et d’essayer d'influencer la façon dont les gens vont réagir à ces informations et se positionner, par exemple, en renforçant leurs biais de confirmation. On reste cependant dans le contrôle des masses. La guerre cognitive permet d’aller au-delà. La guerre d'information en fait partie, mais c'est l'idée de contrôler ce à quoi un individu pense, pas seulement au sens rationnel mais aussi du point de vue émotionnel, pour contrôler comment il va agir.»Par rapport à la guerre de l’information, la guerre cognitive implique donc un niveau supplémentaire de granularité. J’y viens. Parce que d’abord la réflexion de Jean-Marc Rickli trouve un écho dans une conversation tout à fait différente que j’ai avec l’entrepreneur Thierry Mauvernay. Le patron de Debiopharm à Lausanne me fait remarquer que la «valeur de l’information est supérieure à la valeur de la décision». En d’autres termes, que si un individu a toutes les bonnes informations, il n’aura pas besoin d’être un génie pour prendre la bonne décision. Et par conséquent, la mauvaise, si ces informations sont corrompues ou manipulées pour l’orienter…Pour avoir vu l’envers du décor de Facebook et d’Instagram, autrement dit les outils de ciblages publicitaires rendus possibles par ces outils pour les marchands d’internet, je sais déjà qu’en matière de manipulation de l’information on peut faire beaucoup. Et que cela est déjà largement utilisé dans le champ des campagnes électorales et la déstabilisation des opinions publiques. Contrôle réflexif et inondations cognitives Mais la guerre cognitive va encore au-delà. Comme le dit Jean-Marc Rickli, «elle passe par une moisson de données encore plus fine à partir de technologies comme les objets connectés, leur analyse avec les neurosciences et l’intelligence artificielle, cette dernière pouvant, en plus, produire d’autres données qui vont servir à manipuler les individus.»Cela devient dystopique si l’on songe que les entreprises numériques américaines qui dominent la collecte de données au travers des réseaux sociaux et du commerce en ligne sont les mêmes que celles qui développent technologies immersives et objets connectés (lunettes de réalité augmentée, montres connectées, etc.), les programmes d’IA pour analyser ces données et générer des contenus ciblés, et mêmes des technologies d’interface cerveau-machine comme les implants de la société Neuralink d’Elon Musk. «En mesurant l’état émotionnel d’une personne au travers de masses de données analysées toujours plus finement, ces outils vont permettre de comprendre comment une personne réagit précisément à certains stimuli externes et à la manipuler afin d’arriver à une réaction déterminée», poursuit Jean-Marc Rickli.L’expert rappelle aussi que ces techniques ont des antécédents. «Pendant la Guerre froide, les Soviétiques avaient développé le concept de contrôle réflexif. C’est l’idée d’influencer l’adversaire en lui soumettant des chemins déjà prédéterminés afin qu’il pense choisir la meilleure des solutions, ce qui in fine lui fera prendre la décision qui lui est défavorable dans le rapport de force. C’est ce qu'on voit actuellement se passer avec l'attitude de Trump vis-à-vis de l'Europe et de l’Ukraine en poussant pour un cessez-le-feu qui de facto donnerait les territoires ukrainiens occupés à la Russie et légitimerait ainsi le changement des frontières par la force en Europe.»On pourrait aussi dire que la technique de «flood the zone», de saturation de l’espace public avec des provocations, développée par l’ex-conseiller de Trump Steve Bannon et largement appliquée pendant le premier mandat, entre dans la même catégorie. Que faire? Si l’Europe, Allemagne en tête, et même la Suisse ont décidé aujourd’hui de se réarmer avec des augmentations de leur budget de défense, elles auraient tort d’ignorer cette guerre cognitive. Il est évidemment prudent d’augmenter le nombre de chars, de drones ou de missiles face à une Russie en «économie de guerre» et au lâchage manifeste des Etats-Unis. Mais on aurait tort de laisser en friche le terrain cognitif, surtout si l’on se souvient que la dernière tentative de faire émerger une Europe de la défense (la CED en 1954) a échoué sur des divisions. Difficile d’imaginer que le vieux dicton «diviser pour régner» ne sera pas utilisé dans la guerre cognitive qui a déjà commencé sur cette question.Répliquer sur ce terrain sera certes très difficile pour des démocraties, comme l’avait prophétisé Popper. La régulation a vite fait d’être présentée comme de la censure comme le fait J.D. Vance. Mais rien n’interdit aux Européens de construire des alternatives aux plateformes numériques américaines et en particulier aux réseaux sociaux, principaux vecteurs de la guerre cognitive pour l’heure. Et de même aux objets connectés et à l’intelligence artificielle pour demain. Les régimes autoritaires chinois ou russes avaient immédiatement perçu le danger et interdit Facebook, WhatsApp et autres YouTube pour favoriser l’utilisation d’outils locaux comme VKontakte, WeChat ou Weibo.Certes, on dira que ce n’est pas aux Etats de concevoir ces outils. Mais il y a mille moyens de favoriser leur émergence. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé aux Etats-Unis où l’ont fait semblant d’oublier que la Silicon Valley a été la fille cachée d’un Pentagone qu’elle retrouve aujourd’hui.Si les investissements dans la dissuasion conventionnelle ou même nucléaire de l’Europe semblent indispensables, sa défense cognitive présente et à venir ne l’est pas moins. Sans interdire, puisque contrairement à ce que pense J.D. Vance ce n’est pas dans nos valeurs. Mais en offrant a minima ces alternatives. En Suisse où nous avons de longue date fait le choix de la sécurité et du respect des données privés, cela pourrait même renforcer ce choix stratégique. En offrant à nos voisins la possibilité d’une sorte de secret bancaire 2.0 pour le numérique qui coûterait bien moins cher que des avions de chasse F-35 à la facture sans fin et dont on découvre que les acheter ne confère même plus une pleine souveraineté...
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