Maroc - HEIDI.HIDORA.COM - A La Une - 01/Mar 04:00

C’est la peau de la démocratie qu’ils veulent

J’aimerais vous parler de notre nouvelle Exploration intitulée «De la dictature en Amérique». En voilà au moins une que Tocqueville n’aura pas vu venir. Comme vous le savez, Donald Trump fait la pluie et le beau temps depuis qu’il est à la Maison-Blanche. Mais au moins, il n’a guère de suite dans les idées… On ne peut pas en dire autant des barons de la tech qui lui ont prêté allégeance, et n’ont qu’un projet en tête: liquider la démocratie. Je nous invite à prendre ce programme au sérieux.Les gens intelligents ont toujours du mal à se figurer la bêtise à front de taureau. C’est ainsi qu’Edouard Philippe, ex-premier ministre français et candidat résolu à l’Elysée en 2027, a entrepris cette semaine, au micro de Darius Rochebin sur LCI, de prendre la défense des qualités intellectuelles de Donald Trump, exercice périlleux s’il en est.«Les gens qui imaginent que le président Trump est un idiot […]  se trompent sur le personnage», a tenté l’édile du Mans, après avoir expliqué que les rodomontades de Donald Trump sur l’Ukraine participaient d’une volonté éclairée d’isoler la Chine, à la façon de Nixon dans les années 1970 quand il cherchait à décoller Pékin de Moscou.Il suffit pourtant de voir la façon dont il a humilié Volodymyr Zelensky hier à la Maison-Blanche ou d’écouter ses collaborateurs repentis, comme l’ancien conseiller à la défense John Bolton ou Tony Schwartz, le véritable auteur de son bestseller The Art of Deal, pour savoir que le président américain est ignare au dernier degré, qu’il souffre d’un narcissisme maladif et d’un grave déficit de l’attention. Autant de traits dont on peut estimer qu’ils ne contribuent pas à en faire un immense stratège… Derrière le trône ovale Oui mais voilà, Donald Trump n’est pas seul. Il est même très entouré, par ceux – et ils sont nombreux – qui ont misé sur son retour à la Maison-Blanche et y ont vu une opportunité de pousser leur carrière, leurs revenus ou leur agenda idéologique. Parmi eux, deux milliardaires de la tech: l’inénarrable Elon Musk, ce qui ne vous aura pas échappé, et le discret Peter Thiel, cofondateur de Paypal et dirigeant de Palantir.Ce sont deux hommes d’une trempe bien différente. Elon Musk est exubérant, drogué au risque depuis toujours (et plus récemment à la kétamine et à l’Ozempic), il a des idées fixes et s’y tient: rendre l’humanité multiplanétaire et aller sur Mars, quoi qu’il en coûte. A la tête du DOGE, le département de l’efficacité gouvernementale, il s’applique à détruire le wokisme et l’Etat américain avec, avec un enthousiasme inquiétant.Peter Thiel n’est pas de la même eau. Chrétien fervent, très cultivé, gay (ce qui n’est pas la moindre des contradictions), c’est un homme d’une redoutable intelligence, réputé froid et méthodique. Pas le genre à brandir une tronçonneuse chromée, plutôt à écrire des essais politiques entre deux parties d’échecs. Et à pousser soigneusement ses pions, en premier lieu desquels le vice-président J.D. Vance, dont il a fait la carrière.Outre leur nationalité sud-africaine, ces deux barons de la tech partagent un point commun: par conviction ou opportunisme, ils baignent dans un libertarisme radical, très en vogue dans la Silicon Valley, qui prétend substituer la technologie de pointe aux structures de l’Etat. Au pied du mur De la même façon que les gens intelligents ont du mal à se figurer la bêtise, nous autres Européens, pénétrés de notre longue et tragique histoire, avons parfois du mal à prendre au sérieux les gens qui prétendent s’en affranchir. L’agenda libertarien peut paraître artificiel, naïf, et pour tout dire un tantinet stupide. Il est difficile de croire que cette idéologie est en train de gagner à Washington, et que l’Europe pourrait suivre. Et pourtant.Il faut lire à ce titre un essai éclairant, initialement publié le 8 février 2025 sur un blog un peu confidentiel. Il est signé de Mike Brock, l’ancien PDG de la société TBD (filiale du géant Block de Jack Dorsey, fondateur de Twitter). C’est un «vétéran de la Silicon Valley» comme il se définit lui-même, et il est bien décidé à exposer les rouages idéologiques à l’œuvre.Il arrive que les idées mènent le monde, surtout quand elles arrivent à la tête d’un pays puissant. C’est pourquoi nous avons décidé de traduire ce texte et de le publier sous forme d’Exploration, intitulée «De la dictature en Amérique». Elle permet de documenter ce fait de moins en moins douteux: ces gens-là ont la ferme intention de liquider la démocratie. Et peut-être en ont-ils les moyens. Peter Thiel et Elon Musk à Palo Alto en 2000. Thiel a cofondé Confinity et Elon Musk X.com, les deux ayant fusionné pour devenir Paypal. | Keystone / AP Photo / Paul Sakuma