Maroc - LE TEMPS - Tous - 01/Feb 10:31

Los Elementos fait renaître la musique de José de Nebra

Formé à Bâle, l’Ensemble Los Elementos vient de sortir un disque consacré à la musique du compositeur espagnol du XVIIIe siècle José de Nebra. La pastorale oubliée «Venus y Adonis» est une découverte enthousiasmante portée par un casting sublime de chanteusesEn matière de musique ancienne, la renommée internationale et l’émulation de la Schola Cantorum Basiliensis ne sont plus à prouver. Créée en 1933, cette «Mecque du baroque» a vu éclore de ses classes les plus grands artistes tels que le chef et gambiste Jordi Savall, la soprano Montserrat Figueras ou le contreténor Andreas Scholl, et continue de porter avec ferveur le répertoire de la musique ancienne en cultivant l’idée d’une pratique musicale historiquement informée avec des musiciens ouverts sur l’Europe et le monde. Quoi de plus naturel à ce que le fringant Ensemble Los Elementos en soit justement issu?Fondé à Bâle, il est dirigé par le contreténor et claveciniste Alberto Miguélez Rouco, un tout juste trentenaire natif de La Corogne, en Galice, qui a étudié le piano et le chant avant de pousser les portes de la Schola Cantorum en 2012. «En accompagnant au clavecin les auditions de classe de ma professeure de chant Rosa Dominguez, je suis tombé un jour sur une zarzuela de José de Nebra, Vendando es amor, no es ciego. La qualité de cette musique m’a tout de suite donné envie de faire des recherches sur ce compositeur», se souvient le musicien. D’un manuscrit à l’autre, Alberto Miguélez Rouco s’attache alors à l’œuvre de José de Nebra et décide de remettre en lumière cet éminent représentant de l’école baroque espagnole. Trois des quatre disques de son ensemble lui sont consacrés.Lire aussi: Trois chanteuses lyriques formées à Genève redonnent vie à la musique de la Renaissance A la cour de Madrid Né en 1702 à Calatayud, dans la province de Saragosse, José de Nebra fut nommé principal organiste de la chapelle et du couvent de Descalzas Reales, à Madrid, avant de devoir abandonner ces postes entre 1731 et 1737 lorsque sa place à la cour fut prise par les Italiens Francisco Corradini et Francesco Corselli. Auteur prolifique dans le répertoire profane et sacré, il a composé plus d’une centaine d’œuvres, dont 57 ouvrages théâtraux à Madrid et Lisbonne. Sa musique s’est également exportée dans le Nouveau Monde, notamment au Guatemala, au Mexique et au Pérou. «Il existait un marché important pour les pièces sacrées jouées durant les fêtes religieuses. Une centaine de copies des manuscrits de José de Nebra se trouvent en Amérique centrale», explique Alberto Miguélez Rouco. La reconstitution du mélodrame Venus y Adonis, titre du nouveau disque de Los Elemento, n’a pas été une mince affaire. Le musicien raconte: «Le livret était conservé à la Bibliothèque nationale d’Espagne, tandis que les parties séparées des voix, de la basse et du 1er violon se trouvaient au sanctuaire de Loyola dans le Pays basque. Pour l’histoire, cette œuvre qui reprend un épisode des Métamorphoses d’Ovide était le deuxième acte d’un plus grand spectacle intitulé Las tres comedias en una, donné en 1729 au théâtre Del Principe de Madrid. «Les 1er et 3e actes sont perdus, en revanche on sait que Venus y Adonis a été donné de manière autonome un mois après sa création.» Lire aussi: «Amore siciliano», un disque sans queue ni tête de la Cappella Mediterranea Reconstitution historiquement informée Si la structure principale était conservée, il a fallu réécrire les parties manquantes à partir des informations contenues dans celles existantes. Influencé par sa rencontre avec le chef d’orchestre René Jacobs, Alberto Miguélez Rouco épouse une perspective historiquement informée, guidée par l’honnêteté. «Mon intention dans ce genre de projet est de redonner vie à la musique, en respectant la nature de chaque pièce et l’intention initiale du compositeur. Je ne cherche pas à mettre en avant mes habiletés personnelles.»Tout part ainsi d’une étude minutieuse du style de José de Nebra. Pour parvenir à réécrire les parties manquantes de Venus y Adonis, le musicien a retranscrit 150 parties d’instruments des œuvres du compositeur espagnol. «Ecrire la partie d’alto et du deuxième violon était un exercice presque mécanique, car les procédés de composition de Nebra sont assez systématiques. En revanche, celles des trompettes et des cors étaient plus compliquées. Mais ce Venus y Adonis sonne à 99% comme l’avair imaginé Nebra. Pour moi, c’était crucial.» Niveau voix, c’est un casting presque entièrement féminin avec six rôles de femmes et un rôle d’homme. «C’est plus difficile qu’il n’y paraît de faire fonctionner un tel casting. Il faut varier les timbres et les couleurs et j’ai cherché des voix avec une identité forte», souligne le chef. Lire aussi: L’Ensemble Thélème, la liberté comme devise On retrouve ici de brillantes jeunes chanteuses qui gravitent actuellement sur les scènes internationales. La mezzo Natalie Pérez en Adonis est bouleversante dans son air Ay, Venus bella. La soprano italienne Paola Valentina Molinari campe une Vénus charnelle, l’élégance vocale d’Ana Viera Leite dans son air Cualquiera mozuela avec castagnettes nous ravit, tandis que les graves mordorés de la contralto Margherita Maria Sala sont un remède puissant à la mélancolie. Et ce qui transparaît à l’écoute de cet enregistrement, c’est la jouissance et l’incandescence de cette jeune équipe talentueuse. Chaque tempi semble porté par l’évidence, rien ne sonne jamais artificiel. Le tout est magnifié par le génie suisse de la prise de son, Jean-Daniel Noir. On en sort métamorphosé. Los Elementos, «Venus y Adonis» (Apparté).