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Maroc Maroc - LE TEMPS - Tous - 17/Feb 07:51

Emmanuelle Haïm, cheffe de cœur

La musicienne française revient à Genève diriger Didon et Énée de Purcell, initialement produit en 2021 pendant le Covid et diffusé en streaming. Le retour de l’ouvrage en salle, revu et corrigé par Peeping Tom, signe une étape marquante dans le parcours de la cheffe française. EntretienDidon ensevelie sous un envahissement de sable, cette image restera à jamais gravée dans les mémoires. La mise en scène de Franck Chartier et de sa compagnie de théâtre dansé Peeping Tom, qui faisait ici ses premiers pas à l’opéra, ainsi que les ajouts contemporains du compositeur Atsushi Sakai à la partition de Purcell (1659-1695) avaient divisé, lors de la diffusion de la production sur écran en mai 2021. Le spectacle remonte enfin sur le plateau, trois ans après sa création genevoise.À la baguette, Emmanuelle Haïm retrouve avec un enthousiasme intact cette production pour le moins originale. Le partage de la direction en fosse avec le violoncelliste compositeur japonais, et la vision très personnelle du metteur en scène roannais, qui double pratiquement la durée de l’œuvre et en réinterprète totalement les enjeux, n’entament en rien le rapport de la cheffe à la partition et à ses musiciens.Il faut la voir diriger pour comprendre son engagement. Bras arrondis, buste penché en avant, regard dardé vers les instrumentistes, gestes enrobants, précis et énergiques. Emmanuelle Haïm prend l’orchestre à bras-le-corps. Le sens de la communion la porte dans une véritable embrassade musicale. Vous revenez à Genève diriger Didon et Énée en salle trois ans après sa production confinée et sa diffusion en streaming. Qu’est-ce qui a changé ? Nous avons tous changé pendant ce temps et nous sommes toujours les mêmes. C’est la particularité des reprises avec les artistes d’origine. Il y a un lot de transformations potentielles liées à la sécurité du travail déjà réalisé. Mais dans le cas de ce Didon et Énée, pouvoir enfin sentir la vibration de la salle et présenter l’œuvre à un public « réel » stimule et soulage. C’était très étrange de jouer devant seulement cinquante personnes dans des conditions sanitaires très contraignantes. Reprendre cette production si particulière donne un sentiment de renaissance. Cela permet aussi de creuser et d’approfondir certains passages, et de passer plus rapidement sur d’autres. Verra-t-on le même spectacle qu’en 2021 ? Oui bien sûr, avec des variations possibles, liées à la part d’improvisation musicale, aux choix artistiques singuliers de la mise en scène de Franck Chartier, et aux ajouts musicaux d’Atsushi Sakai. Purcell reste-t-il lui-même ? Ce que nous connaissons de la partition demeure. L’aspect à la fois déroutant et excitant du projet de l’équipe, c’est le rapport et les liens tissés entre l’œuvre elle-même et la révision scénique et musicale. Il faut se rappeler que la partition originelle a été reconstituée à partir de copies de parties vocales notamment, et que l’accompagnement orchestral avait été perdu. Beaucoup de passages ont été réécrits ou réutilisés, comme souvent dans la période baroque où ajouts, transformations, réutilisations ou suppressions étaient très fréquents. La durée de l’ouvrage passe d’une heure à près de deux. Comment tenir le cap musical dans ce contexte ? Frank Chartier a souhaité allonger la durée de l’œuvre qu’il trouvait trop courte, pour élargir et approfondir la portée de l’histoire. En plongeant à l’intérieur des pensées des personnages, il a mis l’accent sur leur part d’ombre. La version augmentée de la mise en scène devait s’adosser à un habillage musical complémentaire. Nous avons fait appel à Atsushi Sakai qui pénètre dans les espaces libres et enlace la partition dans un langage sonore inspiré de Purcell. Ses interventions enrichissent l’œuvre avec des ambiances qui disparaissent et apparaissent selon les circonstances. L’effet est saisissant. Vous connaissez bien ce musicien… Oui, il a été violoncelliste et violiste au Concert d’Astrée dès le début, et nous collaborons depuis longtemps. J’apprécie son imaginaire musical, sa grande connaissance de l’univers baroque, sa science instrumentale et sa personnalité ouverte et curieuse. Dans Didon et Énée, il tient la baguette en fosse et joue sur scène avec un même talent. Partager l’estrade avec lui a-t-il été compliqué ? Non, car nous nous pratiquons de longue date et respectons nos sensibilités réciproques. C’est une expérience évolutive marquante et passionnante. Votre premier contact avec Didon et Énée date de 2003. Après son enregistrement, l’avez-vous dirigé souvent sur scène ? Non, malheureusement, car dans ce métier, on passe d’un projet à l’autre sans forcément revenir sur des opéras déjà travaillés. Ce sera ma deuxième fois. Sans conteste la plus particulière, où l’on est happé dans le dédale des visions intérieures de Franck Chartier. Quelles sont les vôtres ? Dans chaque nouvel opéra, elles sont alimentées par ceux qui œuvrent autour de moi, la réalité et les situations particulières des moments vécus ensemble. Dans le cas de Didon et Énée, je suis prise par les combats intimes de cette femme et les tourments de l’Énéide. Pour moi, les strates se superposent toujours entre le vécu personnel et celui des protagonistes, entre les malheurs traversés par tous et les réparations possibles. En fait, en prenant du recul, les histoires les plus tragiques ou folles s’avèrent assez banales. L’opéra est une catharsis pour exorciser la douleur. Songez aux guerres qui secouent le monde depuis toujours, et aux destins de milliards d’êtres sur la planète. On les retrouve partout. Dans la littérature la plus ancienne comme dans l’actualité la plus brûlante. En fait, dans chaque ouvrage lyrique, les destins exceptionnels rejoignent le fait divers. L’infanticide (Médée), le suicide (Lucrèce), l’abandon (Énée), la passion désespérée et mortelle (Didon), ou ailleurs la vengeance, le devoir, le pouvoir, le deuil, la perte d’un enfant ou la condamnation d’un être aimé, tout alimente l’Histoire et l’art. Notre rôle est de nourrir les spectateurs d’amour et de passion, parfois de fureur, mais surtout de rêve et d’évasion. Dans chaque ouvrage lyrique, les destins exceptionnels rejoignent le fait divers Portrait d'Emmanuelle Haïm à Paris, janvier 2025. Vous reconnaissez-vous dans la définition de cheffe instinctive ? Oui. Je ne fais pas partie des directeurs musicaux qui travaillent dans la distance, la hauteur ou l’intellectualisation. Pour moi, la musique est organique. Le cheminement, même s’il est très préparé et travaillé en amont sur des recherches historiques fouillées, demeure intuitif. J’ai besoin d’être au plus près et au plus juste de l’émotion la plus vraie qui circule entre tous ceux qui sont là, au moment précis où l’on joue. D’où vous vient cette forme de direction « naturelle », quasi familiale ? Probablement du fait que j’ai toujours baigné dans un univers musical très fort et actif. Mes parents étaient pianistes amateurs éclairés, et du côté de mes grands-parents maternels, on trouvait facteur d’orgue, organiste et maître de chapelle. Je n’ai jamais eu à me poser la question de savoir ce que je ferais plus tard. La musique est ma langue. Elle est inscrite dans ma chair. Comment votre vie s’est-elle destinée à la direction ? Là aussi, naturellement. Par des rencontres, souvent fortuites, mais décisives. Le tout premier contact s’est fait à l’école vers l’âge de neuf ans. J’étais une élève très vivante, adorant la musique, qui avait la bougeotte et verbalisait beaucoup. La maîtresse m’a demandé de diriger la chorale de ma classe. À la maison, mon beau-père hongrois invitait beaucoup d’artistes. Toute petite, j’ai rencontré Zoltan Kocsis, Dezső Ránki ou Miklós Perényi notamment. Cette familiarité avec de grands musiciens m’a beaucoup imprégnée. J’ai pratiqué différents instruments et la voix me fascinait. J’aimais tout ce qui avait trait aux notes. J’ai avancé au fil des événements, portée par un flux foisonnant. Quant au répertoire baroque, initié par un disque de Gustav Leonhardt que ma mère m’avait offert enfant, il n’a jamais cessé de m’inspirer. Qu’appréciez-vous dans le style et la pratique de la musique dite ancienne ? L’incroyable liberté qu’elle permet, dans l’ornementation, la technique, l’interprétation et l’improvisation. Il y a souvent des ouvrages lacunaires, auxquels il manque des pans entiers de partitions, disparues, non terminées ou en projet. Quelques lignes de continuo ou l’ajout d’extraits d’autres pièces servent d’appui à de véritables re-créations, parfois. C’est passionnant. L’ivresse de la découverte ressemble à celle des archéologues devant l’apparition d’objets enfouis, avec les histoires que ces découvertes nous racontent à travers les siècles. Sur le plan instrumental, il y avait eu très tôt le piano avec Yvonne Lefébure, l’orgue avec André Isoir, le clavecin avec Kenneth Gilbert avant William Christie, la direction avec Daniel Harding, Claudio Abbado et Simon Rattle… Les fées vous ont gâtée ! C’est vrai. Toutes ces personnes captivantes et bienveillantes ont cru en moi et m’ont fait confiance au fur et à mesure de mon parcours professionnel. J’ai eu beaucoup de chance. La création de votre ensemble Le Concert d’Astrée en 2000 constitue-t-il une forme d’aboutissement ? Je dirais une étape fondatrice. Et une évolution logique vers l’absolue nécessité de partage qui m’anime. Après les instruments à clavier beaucoup trop solitaires pour moi, et la direction de différents orchestres de passage, créer ma propre formation en ayant la liberté de choisir des œuvres que je pouvais faire renaître, et travailler sur le long terme dans une forme d’intimité interprétative me correspond et me nourrit. Française et Genevoise, journaliste et diplômée de piano au Conservatoire de Neuchâtel, Sylvie Bonier a enseigné l’instrument à Genève et collaboré à différentes parutions et radios en France, ainsi qu’à Espace 2. Elle a assuré pendant 40 ans la chronique musicale de la Tribune de Genève puis du Temps, auquel elle continue de collaborer occasionnellement. Didon & Énée au Grand Théâtre de GenèveDu 20 février au 26 février Site Billetterie

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