Maroc - LE TEMPS - Tous - 07/Jan 04:18

«Je suis Charlie», plus que jamais

ÉDITORIAL. Dix ans après l’attentat contre «Charlie Hebdo», il est inquiétant de constater que le slogan «Je suis Charlie» est souvent suivi d’un «oui, mais…» En matière de liberté d’expression, le mètre étalon ne doit être ni la peur ni l’autocensure, mais la seule loiLe choc en ce mercredi matin du 7 janvier 2015. Les pushs crépitent sur les smartphones. On peine à y croire, mais le pire est arrivé: les menaces contre Charlie Hebdo ont été mises à exécution. On vient de massacrer la rédaction pour «venger le prophète», selon les termes d’un des terroristes islamistes. L’obscurantisme a gagné. Tout cela pour quelques dessins, ma foi assez drôles. Mais là n’est pas la question.Très rapidement, un slogan s’impose: «Je suis Charlie». Comme un sous-titre et un soutien à cette liberté de rire et d’expression, incarnée aujourd’hui encore par ce journal. Une décennie plus tard, il est essentiel de continuer à le scander face à la tentation d’un «oui, mais…» corsetant les libertés d’expression et artistique. Se moquer de Dieu ou du roi est un droit fondamental, comme le sarcasme ou l’humour vache.Lire aussi: «Charlie Hebdo», 10 ans après: le vertige d’un monde sans Cabu, Charb, Wolinski et les autres Une grenouille de bénitier ou un barbu peuvent bien enrager face à une caricature ou un spectacle Bien sûr, le mauvais goût peut choquer ou irriter. Sa définition est aussi une affaire éminemment personnelle. Une grenouille de bénitier ou un barbu peuvent bien enrager face à une caricature ou un spectacle à la cathédrale de Lausanne. Un laïcard va en rire. En démocratie, le mauvais goût des autres n’est pas un délit pénal et c’est le droit de chacun de ne pas consommer, regarder ou écouter ce qui choque.En matière d’humour, plusieurs voyants sont passés à l’orange depuis les attaques contre Charlie Hebdo. Plus que des interdictions légales, c’est bien le climat qui pèse, entre autocensure et renoncement. Quelques exemples. Géant de l’humour, le pilier des Inconnus Didier Bourdon a déclaré qu’aujourd’hui on «aurait peut-être du mal à faire certains sketchs». L’an dernier, c’est la réalisatrice Danièle Thompson, fille du réalisateur des Aventures de Rabbi Jacob, Gérard Oury, qui annonçait renoncer à réaliser la suite annoncée, évoquant «une sorte de censure qui existe aujourd’hui». «Je suis Charlie»: il ne peut pas y avoir de «oui, mais…» à géométrie variable Ce sont aussi des journaux qui suppriment les dessins de presse par gain de paix et financiers, ou qui exercent des pressions sur des dessinateurs, comme l’illustre la démission de la dessinatrice du Washington Post Ann Telnaes.Dix ans après «Je suis Charlie», il ne peut plus y avoir de «oui, mais…» à géométrie variable en fonction de la sensibilité religieuse, de genre, d’origine, d’opinions politiques, etc. Le seul mètre étalon légitime dans nos démocraties libérales doit être la loi. Dans ce cadre, rire pour résister, pour soulager ou simplement pour s’amuser ne doit plus jamais être synonyme de mort ou de censure.