Maroc - LE TEMPS - Tous - 17/Jun 06:53

Verbier, le carrefour des grands chefs

Depuis sa création, le Verbier Festival confie son orchestre principal et sa formation de chambre à des chefs de rang supérieur. Une manière à la fois de créer l’événement et de transmettre un savoir éminent aux jeunes musiciensQu’ils s’appellent Zubin Mehta, Kurt Masur, Charles Dutoit, Valery Gergiev, Yuri Temirkanov ou James Levine, les plus grands chefs se sont succédé sur le podium du Verbier Festival pour y diriger l’orchestre en résidence. Depuis l’année 2000, il s’agit du Verbier Festival Orchestra – ce Verbier Festival Orchestra composé de jeunes musiciens de haut talent venus du monde entier le temps de la manifestation.Comment un festival encore peu connu a-t-il pu d’entrée de jeu attirer des musiciens de cette trempe, qui passent leur temps à refuser les propositions les plus prestigieuses faute de temps? Martin Engstroem, le fondateur et directeur de la manifestation, l’a expliqué dans son livre Une Vie pour la musique*: «Je voulais attirer les grands chefs et je me suis aperçu qu’à partir d’un certain moment, ils se tournaient tous vers la transmission: après un certain âge, ou un certain niveau de carrière, ils souhaitaient rendre ce que la vie leur avait donné et ils s’intéressaient à la nouvelle génération.»Des fidélités se sont ainsi créées, parfois bousculées par l’agenda politique ou sociétal qui a touché le monde musical, comme tant d’autres, depuis quelques années. Et d’autres histoires ont commencé à s’écrire. Ainsi de la relation que le Verbier Festival a nouée avec Simon Rattle, nouveau mentor principal du Verbier Festival Orchestra qui avait surgi en dernière minute, il y a quelques années, pour diriger un _Requiem_ de Mozart qui était resté dans les mémoires. Il revient cet été avec la _3e Symphonie_ de Mahler. C’est une œuvre-monde, dont les proportions énormes (d’une durée d’une heure trente, c’est l’une des plus longues de l’histoire symphonique) figurent une ascension dans la hiérarchie cosmique. Simon Rattle n’a pas son pareil pour éclairer les détails de l’orchestration mahlérienne, si touffue, tout en conservant l’unité et la cohérence du tout. On retrouvera le chef britannique, directeur musical de l’Orchestre symphonique de la radiodiffusion bavaroise après avoir été celui du Philharmonique de Berlin, pour diriger le Verbier Festival Chamber Orchestra avec quelques fameux solistes tous devenus chefs eux aussi (Kavakos, Mäkelä, Shani) dans une autre troisième symphonie, celle de Beethoven, ainsi que dans le _Triple Concerto_ du même compositeur. Autre figure de la baguette, autre Britannique: Antonio Pappano. Longtemps patron musical du Royal Opera House de Londres, qu’il quittera cet été, et attaché pour le répertoire symphonique à l’Orchestre de l’Académie de Santa Cecilia de Rome, Pappano s’illustrera lui aussi dans le grand répertoire à la tête du VFO: une première fois avec un programme Beethoven et Bruckner (la _Symphonie no 9_), une seconde dans un registre plus léger avec le Verbier Festival Chamber Orchestra dans Rossini, Mozart et Bizet, les deux fois en compagnie de grands pianistes, Yunchan Lim et Mikhail Pletnev. Plus longues et régulières sont les collaborations entre le Verbier Festival et deux chefs. Gabor Takacs-Nagy d’abord, qui est associé à la manifestation depuis ses débuts, et qui en est aussi un des professeurs les plus prisés. Mozartien vif-argent, insufflant à ses interprétations une énergie exceptionnelle, il dirige cet été une version en concert des _Noces de Figaro_ de Mozart à la tête du Verbier Festival Chamber Orchestra, formation qu’il retrouve en fin de festival pour un concert avec la jeune pianiste Alexandra Dovgan.  L’autre pilier, James Gaffigan, est le chef du troisième des orchestres de Verbier, le Verbier Festival Junior Orchestra, avec lequel il proposera les _Tableaux d’une exposition_. Les concerts avec cet orchestre, composé de jeunes musiciens âgés de 15 à 17 ans, seront au nombre de trois cet été, agendés les après-midi pour compléter l’offre Mainstage. Mais on évoquait les nouvelles histoires qui s’écrivent à Verbier, et sans surprise, ce sont autour de chefs jeunes qu’elles prennent place, dans cet esprit de rencontre entre générations qui caractérise l’esprit du festival. Et c’est alors un cortège des baguettes les plus en vue de la génération montante. Klaus Mäkelä a déjà illuminé le festival l’an dernier. Directeur musical de l’Orchestre de Paris, il est appelé à prendre bientôt deux des postes les plus éminents du circuit musical, à la tête des orchestres du Concertgebouw d’Amsterdam et du Symphonique de Chicago. Alors qu’il n’a pas 30 ans! Cette ascension record ne l’empêche pas d’être de retour à Verbier, à la fois comme violoncelliste (voir plus haut) et pour diriger le Verbier Festival Orchestra dans un programme Rachmaninov (avec le pianiste David Fray) et Mahler, dont il fera entendre la 5e symphonie, avec son Adagietto rendu célèbre par le film _Mort à Venise_ de Visconti.  Plus jeune encore, issu lui aussi de cette école finlandaise qui voit naître tant de chefs d’exception, Tarmo Peltokoski. A 24 ans, ce musicien a déjà été nommé directeur artistique de cinq orchestres, à chaque fois après n’avoir donné qu’un concert ou deux avec eux! Prodige parmi une génération de prodiges, Peltokoski fera donc sans doute sensation pour sa première apparition à Verbier, où il dirigera le Verbier Festival Chamber Orchestra, avec le pianiste Lucas Debargue, dans un programme Ravel, Gershwin et Mozart. Jeunesse encore, et insolence du talent, avec Lahav Shani. A 35 ans, le chef israélien collectionne lui aussi les grands orchestres dont il est devenu directeur musical, à Munich, Rotterdam et Tel-Aviv. Il dirigera à Verbier un superbe programme Brahms et Richard Strauss avec des solistes de haut vol, mais il s’illustrera aussi comme pianiste, dans le triple concerto de Beethoven. Il faut encore citer l’actuel directeur du Royal Philharmonic de Londres ainsi que l’Orchestre des jeunes de l’Union européenne, Vasily Petrenko, qui dirigera son compatriote, le pianiste Nikolai Lugansky, dans un magnifique programme Tchaïkovski, et surtout signaler, en clôture du festival, le retour d’un de ses plus fidèles maestros: le chef vaudois Charles Dutoit, qui dirigera les œuvres de Berlioz, Debussy, Ravel avec son célèbre _Boléro_. *Editions Actes Sud