Maroc - LE TEMPS - Tous - 23/Jun 06:28

Le Jura rebelle n’existe plus

ÉDITORIAL. Le dernier-né des cantons suisses fête le 50e anniversaire du vote présidant à sa création. Longtemps anticonformiste, il a parachevé sa normalisation avec l’élection d’une Jurassienne au Conseil fédéral. L’occasion d’un bilanBen, l’artiste dadaïste récemment disparu, aurait pu écrire «le Jura n’existe plus» pour célébrer le 50e anniversaire du vote qui donna naissance au dernier canton suisse. Cela aurait bien collé à l’esprit rebelle qui anima la lutte autonomiste dans un pays pétri de conformisme. A l’heure des commémorations, la fierté du devoir accompli se mélange à la nostalgie d’un temps où l’utopie avait pris le pouvoir. Les passions ont fait place à la gestion, au rêve progressiste s’est substituée la routine administrative. Ou, pour le dire plus brutalement, au souffle de l’Histoire a succédé le frein à l’endettement. Lire aussi: Cinquantenaire, le Jura fête son indépendance avec fierté On aurait tort, toutefois, de lorgner uniquement dans le rétroviseur d’un combat parfois un peu vite mythifié. Et puisque les anniversaires servent aussi à cela, tentons le bilan d’une expérience unique dans la Confédération, celui d’une communauté qui s’est autodéterminée par un vote populaire pour faire canton. Dans la colonne des «plus», l’affirmation d’une identité ouverte – après les premières années d’une lutte patriotique aux accents parfois réactionnaires – et généreuse dans l’accès au droit de vote. Le Jura s’est montré pionnier avec une Constitution qui inspirera d’autres cantons, à commencer par le voisin bernois. Autre réussite, celle de la viabilité économique. Delémont compte plus de postes de travail que d’habitants. L’industrie florissante attire près de 10 000 frontaliers, un tiers des emplois. Un succès qu’explique en partie la Transjurane, obtenue de haute lutte. Avec un théâtre qui ne désemplit pas, la vie culturelle est tout aussi riche. Sans oublier la qualité de vie dans la région la plus verte du pays. Dans la colonne des «moins», le manque de diversification du tissu industriel composé en grande partie de sous-traitants est inquiétant. Contrairement au voisin neuchâtelois, le canton n’attire pas de grands groupes. L’ambition d’une coopération transfrontalière est trop vite tombée en désuétude. Quant à la relation interjurassienne, apaisée depuis le vote de Moutier, ce n’est pas la bonne intelligence qui la caractérise. Se pose enfin la question d’un Etat dont les effectifs ont gonflé, le faisant plonger dans les chiffres rouges. La capacité de réforme, comme de projets nouveaux, s’est dissipée. Ces cinquante dernières années, on a assisté à une lente «suissisation» de la dernière pièce rapportée de la Confédération. Si le Jura se distingue par des votes progressistes dans les élections fédérales, son tissu politique ressemble de plus en plus à celui de ses voisins. L’étape ultime de cette normalisation aura été l’élection au Conseil fédéral d’Elisabeth Baume-Schneider. Sa défense des minorités n’est-elle pas le dernier apport de ce jeune canton à la politique suisse? Ce pourrait aussi être le souhait à formuler pour ces cinquante prochaines années: celui d’un Jura qui ne perde pas complètement ce petit grain de folie dont la Suisse aurait parfois tant besoin. Lire aussi: Le Jura, l’exception au «Sonderfall» suisseLire finalement: Braquage à la jurassienne: comment l'outsider Elisabeth Baume-Schneider est devenue conseillère fédérale