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Maroc Maroc - LE TEMPS - Tous - 23/Jun 20:01

Au Royaume-Uni, le rejet de l’expérimentation populiste

Le Royaume-Uni organise des élections législatives la même semaine que la France. Après huit ans de politique populiste, le pays a de quoi offrir les leçons d’une dérive politiqueGueule de bois à Romford. Dans les rues de cette grande banlieue populaire de Londres, en bordure de l’Essex, qui a voté à près de 70% pour le Brexit en 2016, n’essayez pas d’aborder le sujet de la sortie de l’Union européenne, vous n’aurez que des gestes d’agacement. La foule semble se diviser en deux camps: ceux qui regrettent leur vote pour le Brexit, pensant qu’on leur a menti au moment du référendum, et ceux qui estiment que le Brexit était une bonne idée mais est aujourd’hui un échec, parce qu’il a été mal géré par les gouvernements britanniques successifs.Hillary Webster, une cinquantaine d’années, qui peine à boucler ses fins de mois en donnant des cours de danse, se range dans le premier camp. A l’époque, elle se disait qu’il valait mieux être indépendant de l’UE, «reprendre le contrôle», comme le martelait alors le leader du Brexit, Boris Johnson. «Ça a été une énorme erreur!» s’exclame-t-elle aujourd’hui. L’économie britannique stagne, le pouvoir d’achat aussi, l’immigration a doublé, contrairement aux promesses… La sortie de l’UE l’a aussi directement impactée: elle possède une maison de vacances en Bulgarie, et n’a plus le droit que d’y passer 90 jours par an. «Personne ne m’avait prévenu pendant la campagne électorale», assure-t-elle. Pour elle, la conclusion est inévitable: «On nous a lavé le cerveau à l’époque. Le gouvernement nous a trahis.»### Au bord d’un grand ménage Il y a huit ans, le 23 juin 2016, les Britanniques votaient pour un projet populiste, mal défini. Le 4 juillet, ils s’apprêtent à tourner la page de cette expérimentation. Non pas qu’ils soient sur le point de revenir dans l’UE, aucun parti politique n’en parle. Mais, politiquement, le pays est au bord d’un grand ménage. Les élections législatives annoncent une large victoire des travaillistes, après quatorze années d’opposition. Les conservateurs, qui ont 20 points de retard dans les sondages, pourraient subir la pire défaite de leur histoire, selon certaines projections. ![Le leader des travaillistes Keir Starmer, le 18 juin 2024. — © Stefan Rousseau/Keystone](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/d295b129-4259-4920-9d3c-d29ddaad564d "Le leader des travaillistes Keir Starmer, le 18 juin 2024. — © Stefan Rousseau/Keystone") En face, les travaillistes présentent un leader peu charismatique, orateur soporifique, qui refuse les grandes promesses et évite le jeu des petites phrases politiques. Depuis quatre ans qu’il a pris leur tête, Keir Starmer, un ancien avocat qui s’est lancé en politique à plus de 50 ans, a tout fait pour recentrer son parti. Et il prononce des phrases de ce genre: «Il manque à ce pays un degré de sérieux appliqué.» Etonnante concomitance des calendriers, l’élection se déroule en même temps que les législatives en France. Alors que la tentation populiste y perce également, la désillusion britannique offre une série de leçons fascinantes. «Le Royaume-Uni n’a rien d’exceptionnel à être attiré par le populisme, on en voit presque partout en Europe ou aux Etats-Unis, souligne Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique. Normalement, ces mouvements finissent par partir. Mais le problème pour nous est qu’on a testé le populisme non pas avec une personne, mais avec une idée. Et maintenant qu’on est sorti de l’Union européenne, que la décision a été exécutée, il est très dur d’en revenir.» ### «Il n’y avait aucun plan» La première leçon, la plus évidente, est que les Britanniques ne savaient pas clairement pour quoi ils votaient le 23 juin 2016. Sortir de l’UE, certes, mais pour faire quoi? Jamais Boris Johnson n’a défini ce qu’il comptait faire de ce «contrôle» repris à l’UE. «Il n’y avait aucun plan», rappelle Dominic Grieve, un ancien ministre conservateur, exclu du parti pour son opposition au Brexit. Il s’agissait de populisme à l’état pur: un slogan vide de contenu. Dans ce contexte, les électeurs y ont mis ce qu’ils souhaitaient. Les délaissés du nord de l’Angleterre ont cru y entendre une promesse d’une meilleure protection. Les retraités aisés des campagnes y ont décelé une nostalgie d’un retour à une gloire passée du pays. Les yuppies libéraux se sont accrochés à un rêve de grande dérégulation. Et plus que tout, une grande partie de la population a voté pour un rejet de l’immigration. Huit ans plus tard, les contradictions de ces différentes aspirations expliquent largement les errements des gouvernements successifs. La deuxième leçon du Brexit est que la politique «d’apaisement» de l’extrême droite ou des populistes ne marche jamais. Au commencement était un trublion qui provoquait les moqueries: Nigel Farage, leader du UKIP (United Kingdom Independence Party). Au début des années 2000, il faisait des scores importants à chaque élection européenne, avant de disparaître du paysage politique pour cinq ans. La vague d’immigration venant d’Europe centrale après l’élargissement de l’UE à partir de 2004 – plus d’un million de Polonais sont arrivés en quelques années – lui a fourni un nouvel argument massue. Il a commencé à grignoter des voix sur la droite. C’est pour faire taire cette dissidence que David Cameron a fini par promettre un référendum sur la sortie de l’UE. Ce vote ne pouvait pas être perdu, les sondages le prédisaient catégoriquement. Le patronat, la City, les syndicats, tous les partis politiques étaient contre le Brexit. C’était sans compter avec le vent de révolte qui soufflait sur le pays, affaibli par six ans d’austérité. La victoire surprise du Brexit n’était cependant pas suffisante. Les idéologues, à la recherche de pureté identitaire, ont systématiquement rejeté tous les compromis. Theresa May, qui avait fait campagne contre la sortie de l’UE, a été la première à remplacer David Cameron à Downing Street. Par trois fois, ses propres députés ont rejeté l’accord qu’elle avait conclu avec le négociateur européen, Michel Barnier. En juillet 2019, Boris Johnson a pris la suite. Il a opté pour le plus dur des Brexit, avec une rupture totale des relations commerciales. Mais la révolution dévore toujours ses enfants: jamais le blond décoiffé n’a eu la confiance de ses propres députés, qui l’avaient mis à ce poste pour les sortir de l’ornière. Deux ans et demi après être arrivé au pouvoir, et malgré un triomphe aux élections législatives de décembre 2019, il a été forcé à la démission pour avoir menti au parlement à propos de fêtes qui s’étaient tenues à Downing Street pendant le confinement. Refusant tout compromis avec le réel, les militants conservateurs ont ensuite choisi Liz Truss pour le remplacer. Alors que l’inflation flambait, elle a présenté au plus mauvais moment le plus important programme de baisses d’impôts depuis Margaret Thatcher. La réaction des marchés financiers a été la panique. Les taux d’intérêt ont flambé. Les tabloïds se sont amusés à comparer la nouvelle première ministre à une laitue, pour savoir laquelle des deux durerait le plus longtemps. ### Un siège pour Nigel Farage? Depuis, Rishi Sunak, l’actuel premier ministre, tente vaguement de rétablir un semblant de sérieux. Mais il pousse aussi le débat contre l’immigration illégale, proposant d’envoyer au Rwanda les demandeurs d’asile qui traversent la Manche en bateaux pneumatiques. Cette politique a été jugée illégale par la Cour suprême britannique, le Rwanda n’étant pas considéré comme un «pays sûr» pour les réfugiés. Qu’à cela ne tienne: le parlement a passé une loi stipulant que le Rwanda était «sûr», quelle que soit la réalité du terrain. ![Nigel Farage joue sur une borne d'arcade à Clacton-On-Sea, à l'est de Londres, le 21 juin 2024. — © Kirsty Wigglesworth/Keystone](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/25d3478b-106d-4338-935f-f4162534dc3a "Nigel Farage joue sur une borne d'arcade à Clacton-On-Sea, à l'est de Londres, le 21 juin 2024. — © Kirsty Wigglesworth/Keystone") Quant à Nigel Farage, qui aurait dû être complètement discrédité par l’échec patent du Brexit, il est de retour dans la campagne électorale. Cette fois-ci, son cheval de bataille est la lutte contre l’immigration illégale. Il parle toujours aussi bien, propose des solutions soi-disant «de bon sens» et continue à orienter le débat toujours plus à droite. Les sondages prédisent qu’il devrait remporter un siège de député pour la première fois. La troisième grande leçon est que les dommages concrets d’un projet populiste sont difficiles à effacer. Le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni est sorti du marché unique européen. Les conséquences économiques de cette expérimentation grandeur nature sont désormais connues. Le commerce avec l’UE est plus difficile, nécessitant de remplir une lourde paperasserie. Etant donné que les Vingt-Sept représentent – de loin – son premier partenaire, l’effritement des échanges était inévitable. Selon les calculs, la croissance britannique a été réduite de 3 à 5% par rapport à ce qu’elle aurait été sans le Brexit. Etalé sur huit ans, un tel résultat ressemble plus à un lent effritement qu’à un véritable effondrement. Comme le répète souvent Michel Barnier, l’ancien négociateur européen: «Les problèmes du Royaume-Uni ne sont pas tous dus au Brexit, mais le Brexit les a rendus pires.»

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