Maroc - LE TEMPS - Tous - 25/Jun 17:40

Les politiques de drogues, grandes absentes des débats électoraux en 2024

OPINION. Les consommations explosent, et la répression se durcit, constate à l'occasion du 26 juin, Journée internationale contre l'abus et le trafic de drogues, Khalid Tinasti, chercheur au Graduate Institute; qui note aussi que le cannabis est devenu un autre marqueur de la division Nord-Sud, entre les pays qui l'autorisent et les autresDans une année électorale inédite avec des élections dans 76 pays, le débat nécessaire sur les réformes des politiques de drogues nationales est, même s’il est crucial, inexistant. En dehors du cannabis et de sa régulation pour des usages récréatifs dans les pays occidentaux, les débats sur le contrôle des drogues sont absents des agendas nationaux, alors même que la consommation, le trafic et la production de diverses substances naturelles et synthétiques sont en hausse constante. Ce qu'on peut souligner en ce 26 juin, Journée internationale contre l'abus et le trafic de drogues. Des chiffres incomplets Selon le tout nouveau rapport mondial sur les drogues de l'ONU, en une décennie la consommation de drogues a augmenté [de 20% dans le monde](https://www.unodc.org/res/WDR-2023/Special_points_F.pdf), passant à 292 millions de personnes concernées. Ces chiffres ne concernent que les personnes répertoriées, qui ont été arrêtées pour usage ou qui ont fait appel aux services sanitaires. Tout un pan de la population, à l’usage discret et non problématique, reste inconnu. L’usage problématique a, lui, bondi de 50% en dix ans, la dépendance aux drogues illégales concernant actuellement 64 millions de personnes dans le monde, dont seuls 9% ont accès à une forme de traitement (principalement des programmes d’abstinence, choisie ou imposée). Les substances consommées changent également, avec des augmentations spectaculaires des saisies de cocaïne de 42% et d’amphétamines de 54% en un an dans le monde. Lire aussi: Coup d’envoi d’une nouvelle «Alliance des ports européens» pour lutter contre le trafic de drogue Aux Etats-Unis (avec [plus de 111 000 personnes décédées par overdose en un an](https://nida.nih.gov/research-topics/trends-statistics/overdose-death-rates)), au Mexique (avec des centaines de milliers d’homicides, de déplacés internes et de disparus dans la guerre aux drogues), au Salvador (où l’état d’exception contre les gangs dure depuis deux ans, avec des arrestations arbitraires et autres violations des droits), en Russie (avec presque [deux millions de personnes qui s’injectent des drogues](https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(10)61041-0/fulltext)), en Inde, au Pakistan et en Iran (au cœur des routes du trafic de l’héroïne et avec des prévalences de consommation locale parmi les plus élevées au monde), au sein de l’Union européenne ([avec plus de 2 millions de consommateurs et 3,3 tonnes de cocaïne saisies](https://www.emcdda.europa.eu/publications/european-drug-report/2023/cocaine_en) l’année dernière), des propositions sérieuses et élaborées sur les drogues restent aux marges des débats électoraux et, lorsqu’elles y figurent, se concentrent sur des promesses de répression accrue. Lire également: A Genève, les usagers de crack sont les oubliés du plan grand froid ### L'opinion publique se radicalise Alors que la crise du covid, le réchauffement climatique, les difficultés économiques et les guerres en Europe et au Moyen-Orient semblent avoir relégué le contrôle des drogues au second plan, ce sont surtout les opinions publiques qui se détournent des débats nuancés sur le manque de résultats des approches prohibitives actuelles, et qui soutiennent les discours radicaux d’éradication des drogues. Au Salvador, [78% de la population est très satisfaite de la répression brutale](https://www.cidgallup.com/uploads/publication/publication_files/publication_1650568201000.pdf) contre les gangs, et aux Philippines, 82% des personnes interrogées soutenaient l’administration Duterte dans sa guerre aux drogues, malgré les exécutions sommaires. Reste l’exceptionnalisme du cannabis, qui n’est pas seulement celui de la nouvelle approche légale à cette substance par la légalisation de sa consommation non-médicale, mais également celui d’une nouvelle tension géographique entre nord et sud, entre ceux qui l’autorisent et ceux qui le prohibent. Lire aussi: Tortures, kidnappings et messageries cryptées: le procès belge qui détaille les méthodes des narcotrafiquants En incluant l’élection de Justin Trudeau au Canada en 2015, ou celles des coalitions gouvernementales au Luxembourg en 2018 ou en Allemagne en 2021 sur des programmes incluant la légalisation du cannabis, les six pays qui l’ont autorisé, sous diverses formes, sont occidentaux. Dans les pays les plus peuplés, incluant l’Inde, la Chine, l’Indonésie ou le Nigeria, les politiques publiques soutenues par la grande majorité des populations s’y opposent fermement, ainsi qu’à toute forme de débat apaisé sur les drogues.