Maroc - LE TEMPS - Tous - 14/Jun 03:10

On ne naît pas féministe, on le devient – et on le reste

ÉDITORIAL. Qui dit printemps dit nouvelle mobilisation du 14 juin. Dans un contexte de polarisation et de «backlash», anglicisme qui décrit le retour de bâton visant les féministes à travers le monde, il nous faut nous rappeler les véritables raisons qui motivent à battre le pavéFaire défiler l’actualité sur un smartphone en juin 2024 peut s’apparenter à une longue chute dans le vide. YouTube, Instagram, TikTok. Les mots et les images s’enchaînent, «guerre», «extrême droite», «climat», et tout va trop vite pour qu’on prenne la pleine mesure des destins que ces pixels esquissent. Alors on clique sur un chat qui joue du piano.Dans ce contexte brouillé, voir apparaître des drapeaux violets semble presque incongru. Les femmes n’ont-elles rien de mieux à faire que de descendre dans la rue? Ne craignent-elles pas de lasser, voire de braquer, avec leurs éternelles revendications?Lire aussi: Tamara Funiciello: «En Suisse, on est très loin d’avoir un parlement qui s’intéresse aux problèmes des femmes» Si des progrès en matière d’égalité ont certes été réalisés, tant grâce à nos aînées qu’à la mobilisation des dernières années, certains dossiers fondamentaux restent ouverts. L’affirmer n’est ni de droite ni de gauche, ni misandre ni extrême: c’est un fait. Salaires, travail domestique, violences intrafamiliales, sexisme ordinaire… les raisons de se mobiliser ne manquent pas. Les divisions non plus, dans un contexte de polarisation où caricatures et sophismes alimentent les rhétoriques réactionnaires, et où les frustrations de tous bords nous éloignent les uns des autres. Au sein même des mouvements militants, les questions fusent, légitimes. Trop radicale ou pas assez? Trop à gauche ou pas assez? Trop inclusive ou pas assez? Quel est, au fond, l’objectif visé? Chacun son avis. Mais personne ne peut enlever au 14 juin le mérite d’inviter à l’introspection individuelle et collective une société patriarcale dont la paresse intellectuelle a trop duré. ### Le féminisme est un humanisme Réduire le mouvement à des querelles politiques ou idéologiques, c’est oublier que le féminisme est avant tout un humanisme dont nos démocraties vacillantes ont besoin. Il ne se construit pas «contre» les uns, mais «avec» chacune, chacun. Il dessine un monde conscient de la subtilité des rapports de domination. Un monde où l’autonomie des femmes paysannes est pleine et entière, où les entrepreneuses ne récoltent pas moins de fonds à cause de leur genre, où les femmes ne renoncent pas à des postes de cadre parce qu’elles voudraient une famille, et où celles qui font le choix de se consacrer à leurs enfants sont justement reconnues. Un monde où les femmes ne se disent plus entre elles en se quittant, passé 23h, «tu m’envoies un message quand tu es bien arrivée chez toi?», un monde où le couple ne tue pas. Un monde où deux femmes peuvent s’embrasser dans la rue sans regard hostile ni hypersexualisé, un monde où les femmes trans n’ont plus peur de se faire tabasser juste parce qu’elles osent exister. Le cœur palpitant du mouvement du 14 juin est un «monde d’après» où les femmes sont libres d’être pleinement sujet sans s’en excuser. Est-il vraiment trop radical de l’exiger?