Maroc - LE TEMPS - Tous - 06/Aug 04:55

L’Espagne poussée vers un vrai fédéralisme par l’autonomie fiscale de la Catalogne

La probable intronisation du socialiste Salvador Illa mercredi à la tête de la Catalogne devrait aller de pair avec la pleine autonomie fiscale de cette région, une vieille requête nationaliste. La perspective est rejetée avec virulence par la droite et certaines baronnies socialistesL’équilibre territorial espagnol serait-il en train de vaciller? C’est ce que pensent beaucoup, et au premier chef les milieux conservateurs, au regard d’un pacte fiscal qui vient d’être scellé en Catalogne. Cet accord passé entre la gauche emmenée par le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, et les indépendantistes catalans modérés d’Esquerra Republicana provoque dispute et rébellions. Il prévoit que le candidat socialiste Salvador Illa, vainqueur des législatives régionales du 12 mai, accède au pouvoir grâce à une contrepartie de poids: la pleine souveraineté fiscale de la Catalogne.Cette région très nationaliste gérait la moitié de l’impôt sur le revenu et la moitié de la TVA. La voici habilitée à recueillir l’intégralité des impôts étatiques. Elle reversera ensuite chaque année au pouvoir central une somme correspondant aux dépenses de l’Etat en Catalogne: services, infrastructures, sécurité, etc. De cette façon, la région disposerait des mêmes prérogatives que le Pays basque et la Navarre. Voici exaucé un vœu des formations séparatistes en Catalogne, ERC, de centre gauche, et Junts, des démocrates-chrétiens emmenés par Carles Puigdemont en «exil judiciaire» à Bruxelles.Lire aussi: En Catalogne, la chute fatale de l’indépendantisme marque la fin d’une époque L’accord passé par Pedro Sanchez avec les sécessionnistes catalans permet à son poulain, le leader socialiste Salvador Illa, de gouverner la Catalogne après douze années consécutives d’hégémonie nationaliste. «Nous enterrons ainsi le «Procès», déclarait-il récemment, en référence au processus de divorce engagé avec l’Espagne qui avait débouché en 2017 sur un référendum d’autodétermination illégal et une déclaration d’indépendance symbolique. En satisfaisant cette vieille exigence fiscale des séparatistes, Pedro Sanchez consolide aussi sa fragile majorité parlementaire à Madrid, qui dépend de ces derniers. ## Près de 19% du PIB espagnol Mais l’élargissement de ce privilège à la Catalogne représente une révolution: l’Espagne devient de facto un Etat quasi fédéral. Le mécanisme d’équilibre territorial s’en trouvera bouleversé, cette région étant, avec Madrid, une véritable locomotive économique pour le pays: la Catalogne pèse près de 19% du PIB espagnol. Son autonomie fiscale affectera la caisse de solidarité nationale dans laquelle la contribution des régions riches aide de façon substantielle les territoires moins bien lotis, selon un modèle similaire à celui de l’UE. «Comme toujours dans l’histoire espagnole, c’est la Catalogne qui fait avancer l’Espagne, en l’occurrence vers un vrai Etat plurinational», se réjouit l’analyste – et ancien conseiller de Pedro Sanchez – Ivan Redondo. Mais beaucoup n’apprécient guère. Ce futur manque à gagner provoque l’ire des barons socialistes de territoires qui se voient d’ores et déjà lésés. «Nous rejetons avec virulence la sortie de toute région du régime commun», affirmait ainsi Adrian Barbon aux Asturies. Salvador Illa a beau répéter que le droit de la Catalogne à un financement singulier ne va à l’encontre des intérêts de personne, les chefs de ces territoires sont convaincus que le financement de Madrid sera amoindri, affectant «la qualité des services publics». Aux yeux de l’analyste Manuel Arias Maldonado, Pedro Sanchez a commis une injustice: «Il contribue à renforcer les privilèges des uns au détriment de l’intérêt général alors même qu’il faudrait renforcer le principe de solidarité nationale.» Et la droite qui depuis longtemps déteste le leader socialiste est vent debout contre un accord qui «remet en cause la solidarité nationale». «C’est un précédent très dangereux, enrage la porte-parole du Parti populaire, Dolors Montserrat. Pour se maintenir au pouvoir, Sanchez met le pays en péril. D’autant que nous savons que cette indépendance fiscale n’est, pour les nationalistes, qu’un préambule à leur ambition d’indépendance pure et simple.» La populiste Isabel Diaz Ayuso, présidente de la région madrilène, entend déposer une plainte devant les tribunaux afin d’enrayer «cette scandaleuse sécession fiscale». «Dans la pratique, souligne l’analyste Esther Palmera, cette réforme donnerait entre 6 et 10 milliards d’euros par an de plus à la Catalogne. En termes politiques, ce serait, après la naissance de la démocratie en 1978, la deuxième décentralisation de l’Etat espagnol.» Lire aussi: De retour d’exil, Carles Puigdemont maintient la flamme séparatiste