Maroc - LE TEMPS - Tous - 12/Aug 03:45

Paris était bel et bien une fête: l’été où la France a donné au monde une leçon d’olympisme

REVUE DE PRESSE. Les médias du monde entier sont dithyrambiques face à ces Jeux, qui ont su, exploit insolite, rendre le sourire aux Parisiens. Une réussite de bout en bout, mais la France saura-t-elle capitaliser sur cette bulle de joie?«Comment les JO de Los Angeles en 2028 pourront-ils faire mieux?» La question, qui pourrait paraître vantarde, ne provient pas du comité organisateur de Paris 2024 mais bien du Los Angeles Times, qui, lucide, déclare qu'«aucune autre ville au monde ne peut faire ce que [la capitale française] n’a fait au cours des trois dernières semaines, mettant en scène le drame d’une compétition olympique dans le décor d’une tour Eiffel scintillante et des jardins luxuriants de Versailles». En somme, un écrin comme nul autre pareil, une organisation millimétrée, un engouement total, et un véritable rêve éveillé pour Emmanuel Macron, Tony Estanguet, président du comité d’organisation ou encore Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports.On a connu une France déchirée lors des récentes législatives, et beaucoup pariaient sur une catastrophe pour ces joutes olympiques. Dans un (très) rare moment d’unité, les médias hexagonaux, et internationaux, s’accordent unanimement à considérer ces JO comme un succès. Pourtant les doutes étaient en effet légion avant le coup d’envoi, mais le soulagement n’en est que plus grand, énumère Le Nouvel Obs: «Est-ce la lourdeur étouffante des dernières semaines politiques? La peur d’une faute de goût humiliante le premier soir? Ou l’angoisse d’une ville plusieurs fois meurtrie? Depuis le succès de la cérémonie d’ouverture des JO, grandiose et enthousiaste, il flotte sur la capitale un très rare air de fête.»Lire aussi: Pendant quinze jours, Paris était une fête ### Des débuts poussifs La mayonnaise n’a pas forcément pris d’emblée, comme si les Parisiens, trop habitués à râler (on ose s’aventurer sur le terrain du cliché), s’attendaient à une entourloupe, le faux pas qui aurait fait dire: «Ah! Voilà, c’est raté, je vous l’avais bien dit». Ça en avait pourtant rapidement pris le chemin, avec une météo capricieuse et des sabotages sur les lignes de TGV: «Toutes les planètes semblaient s’aligner pour donner raison à ceux qui promettaient aux Jeux olympiques un destin funeste, [rappelle _Le Monde_](https://www.lemonde.fr/sport/article/2024/08/11/jo-2024-les-quinze-jours-d-un-paris-enchante_6276831_3242.html). La cérémonie d’ouverture sur la Seine allait être rincée, les spectateurs abandonnés sur les quais de gare. Les ambitions rangées aux vestiaires.» Mais la magie de l’olympisme semble avoir pris ensuite le relais et «les Français, d’abord dubitatifs, se sont mués en supporters passionnés, transformant chaque épreuve en célébration collective», décrit [_Le Parisien_](https://www.leparisien.fr/jo-paris-2024/jo-paris-2024-impossible-pas-francais-12-08-2024-R5AJY66ESBFNFI7R7ZWWTRKQFA.php). La Ville Lumière partait certes avec l’avantage d’être… la Ville Lumière. Tour Eiffel, Grand Palais, Château de Versailles, Paris avait tout pour bien faire, ce qui ne lui assurait pas un succès automatique non plus, rappelle [_Libération_](https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/jo-de-paris-2024-les-jeux-sont-morts-vive-les-jeux-20240811_CIILDUJSJVCH5PKDWKGHECSH2Q/), qui se demande ce que l’on retiendra de ces JO dans 100 ans. «En 2124, on parlera de cette première tentative réussie d’installer les Jeux dans la ville. Ce pari un peu fou a largement contribué au succès populaire. Il envoie aussi le message progressiste, en passant, qu’un patrimoine exceptionnel ne se cultive pas uniquement en l’aspergeant de formol. La cérémonie d’ouverture l’avait aussi remarquablement démontré.» Lire aussi: Tir à l’arc coréen, plongeon chinois, boxe ouzbèke: ces sports privés de compétition Un cadre enchanteur, un enthousiasme au rendez-vous, on en oublierait presque que Paris 2024, c’était aussi du sport. Et là aussi, l’événement, ou plutôt les athlètes, ont su être à la hauteur, avec «des performances. Des records battus. Des médailles en pagaille autour d’un cou, celui du nageur Léon Marchand ou de la gymnaste Simone Biles», pousuit _Libération_. Des JO 2024 qui ont aussi, durant deux semaines en tout cas, exorcisé le climat mortifère imposé par la politique française, qui a pourri le pays ces dernières semaines, se réjouit encore le quotidien: «Les Français se sont pris aux Jeux au-delà du raisonnable et ils ont bien fait. Ils en avaient besoin. Ils ont, alors que la politique est en vacances, pris le pouvoir pendant quinze jours pour écrire leur présent. Comme un peuple souverain assumant un délire mature.» ### La difficile tâche de passer après Paris 2024 Mais toute cette joie, simple autocongratulation et chauvinisme des médias hexagonaux? Que nenni, et même la presse américaine, dont le pays aura la lourde tâche d’accueillir les JO de 2028, redouble de compliments, en faisant aussi la liste de tout ce qui a été de travers lors des précédentes éditions, estivales ou hivernales. Certes, Pékin et Tokyo se sont pris le covid de plein fouet, mais «remontez encore plus loin, à l’époque où il y avait des supporters, écrit le [_Washington Post_](https://www.washingtonpost.com/sports/olympics/2024/08/11/paris-olympics-reboot/). Pyeongchang, en Corée du Sud, à l’hiver 2018, a donné l’impression d’être éloigné et décousu. Rio de Janeiro, à l’été 2016, était grotesque dans son déplacement de populations appauvries et dans la construction de sites aujourd’hui abandonnés. Sotchi, en Russie, à l’hiver 2014, était un projet de vanité pour un autocrate.» En images: En images – Les plus belles photos du public des JO de Paris 2024 [Le _New York Times_](https://www.nytimes.com/2024/08/11/paris-closing-ceremony-los-angeles.html) décrit quant à lui la nostalgie qui semble déjà s’emparer de la capitale: «Alors que Paris fait ses adieux aux Jeux olympiques, nombreux sont ceux qui hésitent à renoncer à leur magie: l’adrénaline, la fête sans débat politique, le temps délicieusement suspendu, à l’image de la vasque olympique rougeoyante qui a plané avec nostalgie sur la ville tous les soirs.» Le quotidien américain liste aussi tout ce que cet événement était censé être et devenir, à savoir «écologiques, à faible budget et [améliorant durablement] la vie des citoyens, en particulier dans les banlieues pauvres de la Seine-Saint-Denis». Pas dupe, le média sait très bien qu’il «faudra des mois, voire des années, pour faire les comptes sur tous les fronts. Mais d’ores et déjà, peut-être sous l’effet de l’euphorie des Jeux, nombre d’anciens détracteurs admettent avoir constaté des améliorations. Le célèbre cynisme français a fait place à un optimisme inhabituel.» Lire aussi: A Paris, l’adieu de Tadesse Abraham aux Jeux olympiques Mais peut-être que les Américains sont trop facilement charmés par l’écrin parisien et ses sites touristiques transformés pour l’occasion en chaudron olympique? Sauf que le reste de la presse internationale dresse le même bilan: peu ou prou un sans-faute. Le journaliste de la [_NZZ_](https://www.nzz.ch/sport/olympische-spiele/olympia-2024-warum-die-sommerspiele-in-paris-einzigartig-sind-ld.1842661) Remo Geisser n’est pas un bleu en matière de couverture des JO, dont c’était la quinzième olympiade cette année. Il décrit une sorte de ville utopique, où a régné calme, joie et bonne humeur durant toute la quinzaine: «Les stades sont pleins et, dans le métro, dans la rue, on croise sans cesse des gens qui respirent un bonheur tranquille parce qu’ils ont vécu un beau moment plein d’émotions. […] Il n’y a aucune agressivité, même les policiers français, d’habitude tout sauf prudents, sourient. On est tenté de leur glisser un œillet dans le canon de leur mitraillette et de leur demander de faire un selfie. Ils se prêteraient au jeu.» Il faut se frotter les yeux mais c’est bien de Paris dont on parle. Lire aussi: Kévin Germanier: «Je ne suis pas activiste, mon job c’est de créer des habits qui font rêver» ### «Seine-sationnel» Outre-Manche, [la BBC](https://www.bbc.com/sport/olympics/articles/c74lx7kxpj4o) salue un événement «sensationnel», alors qu’[_El Pais_](https://elpais.com/deportes/juegos-olimpicos/2024-08-11/el-verano-que-paris-cambio-y-que-nunca-olvidara.html) ose quant à lui affirmer qu’il s’agit là de «l’été qui a changé Paris» et qui a «la fait entrer définitivement dans le XXIe siècle». Rien que cela. Des JO comme rempart face aux horreurs du monde, aussi, estime le [_Corriere della Sera_](https://www.corriere.it/sport/olimpiadi/24_agosto_12/parigi-olimpiadi-citta-bilancio-a4a86a40-524f-4e9a-9dd7-0e88ead3axlk.shtml?refresh_ce), qui y voit «la renaissance d’un esprit olympique difficile à nommer, en cette époque de tragédie et de cynisme. […] Pendant deux semaines quelque chose […] a véritablement balayé Paris, jusqu’en juillet l’une des villes les plus désenchantées et moralement en crise de tous les temps.» «Seine-sentionnel», titre quant à lui le journal autrichien [_Die Presse_](https://www.diepresse.com/18752715/seine-sationell-die-einzigartigen-spiele-von-paris), qui reste bouche bée devant cette quinzaine: «Il n’est pas nécessaire de trouver des mots pour expliquer les Jeux d’été de 2024 à Paris. Parfait. Passionnant. Gigantesque. Intéressant. Spectaculaire. Juste Paris.» Lire aussi: A Versailles, le pentathlon moderne s’offre un décor digne de ses héros anonymes Des voix discordantes, il en existe malgré tout, entre celles qui fustigent l’occasion toute trouvée pour Emmanuel Macron de s’enorgueillir politiquement de cette réussite et celles qui rappellent les laissés-pour-compte de ces JO. Dans [_Le Figaro_](https://www.lefigaro.fr/vox/societe/paris-2024-des-jeux-olympiques-en-l-honneur-de-jupiter-20240809), on tape sur la récupération toute jupitérienne de l’événement: «Pensez-vous, avec près de dix milliards de budget, que ne peut-on offrir à la foule en termes de magnificence! C’est d’ailleurs pour cela qu’Emmanuel Macron vient ainsi se frotter aux athlètes, d’une certaine manière, ils lui appartiennent. Leur aura est son aura, leurs victoires sont ses victoires. Il est heureux de fournir à son peuple des brassées d’une joie absolue; le prince – magnanime – nous a pardonné nos moments d’égarement et de vaine révolte.» Lire aussi: Aux JO de Paris, on voulait voir la Dream Team, et on l’a vue souffrir [_Mediapart_](https://www.mediapart.fr/journal/france/110824/fait-un-cauchemar-et-si-les-jo-ne-s-arretaient-jamais) place en chien de faïence ces joutes lumineuses et ceux qui en ont pâti, voyant derrière toutes ces médailles… le revers de la médaille, justement: «Les fan zones sont pleines de gens qui rient et pleurent ensemble devant les transmissions des épreuves; 5200 personnes ont été expulsées de squats et de campements de rue en Île-de-France en un an et envoyées en région sans solution de logement. Les transports publics roulent bien et les agent·es d’accueil sont plébiscité·es pour leur bonne humeur; les émissions de CO2 des Jeux olympiques de Paris (JOP), 1,58 million de tonnes au minimum, seront l’équivalent de ce que rejettent 150 000 personnes en France en un an.» ### L’exploit de ces JO: faire sourire les Parisiens [Dans nos colonnes](https://www.letemps.ch/opinions/editoriaux/paris-saura-t-il-faire-durer-l-esprit-des-jeux-de-2024), on coupe la poire en deux en sachant très bien que cette parenthèse hors du temps est un mirage que seul le sport semble être capable de façonner: «Beaucoup ont décrit ces quinze jours où, pour reprendre la formule d’Ernest Hemingway, Paris était une fête, comme une bulle. Un espace clos, fragile, éphémère. Ce ne serait pas le vrai Paris, ni la vraie France, seulement un espace nettoyé et sécurisé, sans enjeu autre que la place au tableau des médailles. Il y a toujours un peu de gêne à avouer que l’on a apprécié cette propreté, cette sécurité, ces transports fiables et efficaces, ces gens aimables et ces policiers souriants, parce qu’il y aurait forcément un envers du décor, un coût social ou financier à payer. Une réalité qui tôt ou tard nous rattrapera.» Lire aussi: De Sapporo 1972 à Paris 2024, l’épopée olympique d’Hugo Steinegger En attendant, le Corriere della Sera pose une question, «la seule qui compte» selon lui: «Est-ce que cela en valait la peine? Les Parisiens, les Français et les millions de touristes qui envahissaient les rues de la capitale en s’excusant mille fois et en souriant lorsqu’ils se croisaient sur le trottoir (une coutume normalement inconnue à Paris) répondraient par un «oui» enthousiaste.» Los Angeles, à vous de faire mieux dorénavant, la flamme est dans votre camp.