Maroc - LE TEMPS - Tous - 22/Aug 09:54

Le spinning, rodéo automobile urbain, enflamme l’Afrique du Sud

La pratique née clandestinement dans les townships est maintenant un sport motorisé reconnu et soutenu jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Reportage entre Soweto et Johannesburg, dans le bruit, la fureur et l’odeur de l’essenceDes crissements de pneus résonnent dans un terrain vague à l’est de Soweto: Dankie Darlie enchaîne les dérapages, les «donuts» ou figures circulaires et les vives accélérations au volant de son bolide, dans un nuage de fumée. La jeune femme porte débardeur, longues tresses et autour du cou une croix qui fait des va-et-vient tandis que son bras gauche, couvert de tatouages, donne la cadence…A la ville, cette fraîche quadragénaire s’appelle Nalo Jivhuho, travaille dans les ressources humaines et élève un adolescent. Mais il ne lui faut qu’une seconde, en embarquant dans sa BMW noire siglée, pour devenir Dankie Darlie, un alias connu et respecté dans l’univers très particulier du spinning. Objectif: enchaîner cascades, figures et dérapages, si possible jusqu’à la crevaison d’un pneu. «Quand résonne le bruit d’un pneu qui explose, les gens deviennent fous. Si vous arrivez à faire ça, c’est que vous avez le feu», raconte Dankie Darlie. Née en plein régime d’apartheid à Soweto, la pratique du spinning fut d’abord associée au gangstérisme avant de devenir extrêmement populaire. L’Afrique du Sud l’a officiellement reconnue comme un sport automobile en 2014 et, en juillet dernier, le nouveau ministre des Sports, Gayton Mckenzie, a annoncé vouloir en faire «l’un des sports les plus importants» du pays. Le spinning cherche donc à s’institutionnaliser et à développer son sponsoring. Il possède maintenant ses lieux dédiés, comme dans le sud de Johannesburg, où Monde Hashe, propriétaire de circuit, ne manque pas d’ambition: «La pratique se développe. Il s’agit maintenant de le montrer au monde.» L’ambiance est à la fête cet après-midi. Entre glacières et chichas, familles et groupes d’amis encouragent les spinneurs venus des quatre coins du pays. Le raffut couplé aux odeurs de caoutchouc brûlé et de gaz d’échappement créent l’ivresse recherchée. «Je suis client de n’importe quoi qui fait du bruit et beaucoup de fumée!», lance Chahid, qui observe le show depuis son stand de burgers.  Ici, les spinners qui arpentaient il y a des dizaines d’années les rues des townships pour des rodéos clandestins, se donnent en spectacle devant des centaines de passionnés. Certains sont accompagnés de cascadeurs qui s’amusent avec la voiture, à la manière d’une danse scénarisée. «Lorsque j’ai commencé, on pratiquait dans la rue. Pour ces événements encadrés, on a plus d’opportunités et de temps pour s’entraîner», confie Iksaan «Iki» Khan, spinneur professionnel, avant de s’élancer sur la piste. Retour à Soweto, quelques heures avant l’entraînement de Nalo Jivhuho. Une équipe 100% masculine s’active pour préparer les voitures garées à l’entrée de sa maison de l’immense township. La patronne donne le tempo. «Elle peut vous tuer si vous touchez à ses voitures», s’amuse Nqobile Tshabalala, garagiste qui l’aide à entretenir ses bolides. «J’ai la chance d’avoir un entourage qui me soutient, car cette activité est extrêmement coûteuse. Sans eux, Dankie Darlie n’existerait pas.»  Son investissement personnel dans cet univers à l’odeur d’essence «est aussi une façon d’exprimer ma féminité. J’inspire les jeunes filles et c’est important car, dans ce sport, nous sommes minoritaires», confie-t-elle. Mains sur le volant, elle retrace le chemin parcouru depuis ses débuts en 2019. «C’est fou, regardez la voiture que je conduis maintenant, c’est une voiture de mec. Et moi j’en possède quatre!» Mais Nalo Jivhuho a une obsession: ne pas être considérée comme «l’un des gars». «Parfois, je spinne en robe ou en jupe», revendique cette spinneuse, femme jusqu’au bout des ongles… ou presque. «Je ne peux juste pas conduire avec des faux ongles [très courants ici] - c’est impossible.» **Dans nos archives:** [«Foire du chrome»: carte blanche au photographe David Wagnières](https://archive.letemps.ch/archive/www.letemps.ch/images/photographies/foire-chrome-carte-blanche-photographe-david-wagnieres.html)