La question qu’on me pose le plus souvent depuis que j’ai entrepris cette enquête sur les analogues du GLP-1 est celle de leurs effets...
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J’ai visité les deux marchés du futur, j’y ai rencontré une humanité triste. Depuis deux ans, deux nouvelles technologies explosent tout sur leur passage, à commencer par les cours de bourse des entreprises qui les produisent: l’intelligence artificielle générative de type ChatGPT et les coupe-faim ultra-efficaces à base d’analogues de l’hormone GLP-1 comme Ozempic. Si elles sont fondamentalement très différentes, ces deux technologies partagent la caractéristique d’avoir des impacts cognitifs et au-delà, sociaux. A quoi ressemblera une société où deux aspects centraux de l’expérience humaine, la créativité et le plaisir de manger, deviennent paramétrables?Ozempic est devenu en un claquement de doigt une marque à la notoriété planétaire. Une sorte de ying face au yang de la malbouffe et à ses marques comme Coca Cola ou KFC. La pharma danoise Novo Nordisk, qui a développé Ozempic, est devenue la première capitalisation boursière d’Europe, loin devant la star des années 2010, le groupe de luxe LVMH. Eli Lilly, qui commercialise des médicaments concurrents, est carrément devenue la dixième capitalisation boursière au monde. A l’automne 2024, sa valeur dépasse les 800 milliards de dollars, plus très loin des géants qui surfent sur la vague de l’intelligence artificielle comme Google, Microsoft et Nvidia, en attendant le producteur de ChatGPT, OpenAI.Personne ne sait si les investisseurs ont endossé des lunettes trop roses pour lire l’avenir de ces deux familles de technologies. Mais à l’issue de notre Exploration Minceur sur ordonnance sur les prouesses scientifiques et entrepreneuriales qui ont produit Ozempic et ses produits similaires, il me semble que les similarités entre ces deux technologies à première vue si différentes dépassent largement le firmament boursier. Les similarités, mais aussi les risques, en particulier ceux auxquels ces technologies pourraient conduire nos sociétés dans le futur si on n’y prend pas garde.Discussion avec un fan d’IA J’ai récemment participé à une table ronde sur les IA génératives dans le cadre de la journée des entreprises organisée au cœur de la Genève industrielle à Plan-les-Ouates. David Granite occupe le poste de «creative technologist» chez Dorier Group, une filiale de la multinationale de l’événementiel MCI. Il développe des expériences immersives bluffantes à grand renfort d’IA. Il est à la fois expert et fan.David Granite n’a aucun doute sur le fait que l’intelligence artificielle va s’imposer dans la création. Il a probablement raison et m’en donne pour preuve un petit livre qu’il a réalisé pour des écoles genevoises en deux temps trois mouvements avec l’aide d’IA productrices de textes et de dessins. C’est de bonne facture et j’abonde pour dire que ces écoles n’auraient probablement pas eu les moyens de produire vite et bon marché un tel livre, sans les IA.Toutefois, en écrivant ces lignes, je ne peux m’empêcher de me demander quel sera l’impact de ces IA sur ceux qui écrivent, dessinent ou font des films, qu’ils soient professionnels ou amateurs. La réponse de David Granite est celle que j’entends depuis plusieurs années: vous ne serez pas remplacé par une IA mais par quelqu’un qui sait utiliser une IA. Vers une créativité standardisée Cela me semble un peu court. D’abord parce que si ces IA génératives font un tas de choses bluffantes, la plus frappante, celle qui a même été leur porte d’entrée via l’art, c’est qu’elles investissent ce qui est longtemps resté une chasse gardée de l’être humain: la créativité. Vu la vitesse à laquelle elles progressent, peut-on vraiment croire qu’elles ne parviendront pas à nous déposséder de cette créativité intimement liée à notre identité humaine?Des chercheurs britanniques se sont posé la même question. Dans une étude publiée cet été par Science Advanced, ils ont testé l’emploi d’IA génératives par des rédacteurs, non pas pour les remplacer mais pour leur suggérer des idées. Un cas d’usage «positif» de l’IA fréquemment cité. S’ils constatent que ce brainstorming homme-machine aboutit à une augmentation de la créativité individuelle, en particulier pour les rédacteurs les moins productifs, ils enregistrent aussi une diminution de la créativité collective. Les histoires commencent à se ressembler. Contexte peu favorable aux humains Les designers du studio franco-japonais Aoki ont posé cette même question de l’effet de l’IA sur la créativité à ChatGPT4 en juillet 2023. En vrac, cette IA met en avant la perte du désir de créer, la création en circuit fermé, la standardisation, la production excessive, la dévaluation de l’art … et même le risque de régression cognitive, en particulier pour les enfants.On peut se rassurer en se disant que ces IA génératives ne créent pas vraiment du contenu ou une œuvre inédite, mais les génèrent à partir de données. Certes, mais ces contenus numériques sont aussi déployés dans un contexte économique compétitif plus favorable aux IA qu’aux humains.Malgré tous leurs défauts, les réseaux sociaux comme YouTube, Tik Tok ou Instagram, ainsi que des plateformes comme Substack pour le texte ou Spotify pour la musique, ont permis la diffusion de la créativité de tout un chacun. Cela a eu pour conséquence une gigantesque compétition pour l‘attention.Mais que pourront faire demain les plus talentueux des influenceurs, sans parler des artistes, face à un torrent de créations générées des IA, capables de livrer une vidéo, un refrain ou même une lettre d’amour, sur mesure et parfaitement adaptés à l’humeur du moment, analysée au battement de cœur près grâce à une montre connectée sur le poignet de celui ou celle à qui cette création est destinée? Un air de Black Mirror C’est à ce moment «Black Mirror» de notre analyse que se croisent l’IA et l’Ozempic, au-delà des similarités boursières évoquées plus haut.Ces médicaments représentent un indéniable progrès pour traiter la maladie chronique qu’est l’obésité et ses conséquences physiologiques ou psychologiques dans une société qui la stigmatise. Mais leur impact potentiel est beaucoup plus grand, parce qu’ils touchent directement à un autre aspect de l’expérience humaine. Pas la créativité, cette fois, mais notre appétit et au-delà, via le système de la récompense de notre cerveau, à notre goût, nos sensations de plaisir, bref à nos émotions. Quel sera l’impact cognitif et social de tels modulateurs du désir?La vérité est que nous n’en savons rien. Pour le moment, les pharmas qui développent ces médicaments révolutionnaires insistent, à juste titre, sur le fait qu’ils doivent être réservés à une population qui en a véritablement besoin, pour des raisons médicales. Ce à quoi les rares assureurs-maladie qui remboursent déjà ces thérapies ajoutent des conditions draconiennes (elles aussi justifiées) d’encadrement par des spécialistes et de limites dans le temps. De toute façon, il y a un milliard d’obèses dans le monde et pas encore la production industrielle capable de leur fournir à tous de l’Ozempic, on l’a vu dans cet épisode de mon enquête. Derrière le voile d’hypocrisie Mais il règne aussi une certaine hypocrisie autour des effets spectaculaires de ces molécules sur la perte de poids. Si Ozempic et ces concurrents sont devenus un tel phénomène aujourd’hui, c’est parce que leur utilisation dite «off-label», autrement dit pour des gens qui n’en prennent que pour des raisons esthétiques (perdre quelques kilos), explose. Impact Analytics, une société d’analyse du commerce basée sur l’IA, constate que les ventes d’habits de petites tailles grimpent tandis que celles de grandes tailles s’effondrent dans l’Upper East Side, un quartier de Manhattan, considéré comme l’épicentre de l’utilisation non médicale des analogues de GLP-1.Penser qu’un tel marché puisse échapper à l’attention des entreprises pharmaceutiques serait naïf. D’autant plus qu’il semble illimité, car on s’achemine vers un contrôle du poids à vie avec ces médicaments, comme c’est le cas pour le cholestérol ou l’hypertension. Je ne compte pas les fois où la quarantaine de scientifiques et médecins que j’ai interviewés pour cette enquête m’ont dit que le poids allait devenir une variable contrôlable, comme la tension artérielle. Le tabou brisé du marché de masse Pascal Soriot, le patron d’AstraZeneca, a brisé le tabou de l’utilisation non strictement médicale des analogues du GLP-1. Son entreprise, qui est en retard sur Novo Nordisk et Eli Lilly, a racheté la biotech chinoise Eccogene en novembre 2023 pour tenter de prendre sa part d’un gâteau estimé à 100 milliards de dollars par an d’ici 2030. Il expliquait alors que ce n’est pas seulement le marché de l’obésité qu’il vise, mais plus largement celui des gens qui cherchent à perdre du poids. En dépit de leurs échecs à développer des coupe-faim dans le passé, d’autres pharmas ont en tête ce même marché. Surtout si, au lieu d’être injecté avec une seringue, les analogues de GLP-1 peuvent être avalés sous forme de comprimés, plus confortables d’usage. Des effets secondaires Si ces médicaments modulent à la baisse le système de la récompense et la dopamine qu’il produit, va-t-on aboutir à une population de gens minces mais qui n’ont guère de joie dans la vie? Manger c’est aussi souvent partager une expérience sociale. Aurons-nous envie d’une fondue avec des amis si des analogues du GLP-1 nous ont coupé l’appétit?C’est le point où je veux en venir. Les progrès technologiques, encore une fois incontestables, de l’IA comme des analogues de GLP-1, sont-ils sur le point de transformer radicalement l’expérience humaine dans deux domaines qui lui sont intrinsèquement liés: la créativité et le désir? Très franchement j’ignore la réponse, mais la popularité actuelle de deux technologies qui agissent sur notre cerveau m’interroge.Qui voudra visiter un musée ou une librairie remplie d’œuvres produites par des IA? Quel plaisir aura-t-on à s’asseoir à la table d’un restaurant si notre appétit est bridé par des médicaments? A quoi ressemblera une société où le risque d’obésité, encouragé par la malbouffe, sera compensé par des hormones artificielles tandis que des IA génératives étendront l’infobésité pour inonder tous les champs de la créativité humaine dans la fenêtre de nos smartphones?De nouveau, je ne sais pas. Mais je repense à Claude Levi-Strauss et à ses Tristes tropiques, dans lesquelles ce ne seront plus seulement quelques Indiens Tupis qui se retrouveront dépossédés de leur expérience d’humains par le progrès technique, mais toute l’humanité.
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