Maroc - LE TEMPS - Tous - 03/Jan 20:36

En Syrie, les Européens veulent y croire

EDITORIAL. Les chefs de la diplomatie française et allemande ont rencontré le nouvel homme fort de Damas. Entre scepticisme et tentation d’une certaine condescendance, chacun marche sur des œufsChacun a envie d’y croire. Les Syriens les premiers. Mardi, le réveillon du 31 décembre était le premier que le pays célébrait en l’absence du clan Assad depuis… 1971. «Garde la tête haute, tu es un Syrien libre», disaient les chants, tandis que Damas s’allumait de mille feux. Les Européens veulent y croire, eux aussi. La visite des chefs de la diplomatie française et allemande, débarquant à bord d’un avion militaire vendredi, est le dernier épisode en date de l’emballement tout à fait inattendu que connaît la Syrie depuis la fuite de Bachar el-Assad, il y a trois semaines.Mais chacun marche sur des œufs. Reçus par le nouvel homme fort du pays, les deux responsables européens étaient tout aussi désireux de montrer leur engagement que leur scepticisme. Quels sont les plans de celui qui vient tout juste d’abandonner son nom de guerre (Al-Joulani), pour redevenir Ahmed al-Charaa? Quelle confiance accorder à la mue de ce dirigeant islamiste, qui incarnait il y a peu encore l’un des grands périls face auxquels les pays occidentaux, et arabes, préféraient s’accommoder d’un despote sanguinaire au pouvoir?Lire aussi: En Syrie, l’appel du monastère de Mar Moussa: «Nous devons participer à la construction de ce pays» Comme l’a rappelé à Damas Jean-Noël Barrot, la France a encore bombardé, ce même jour de Réveillon, des positions de l’organisation de l’Etat islamique (Daech) en Syrie. Les Etats-Unis, la Russie, Israël, la Turquie sont autant d’Etats aux aguets, voire en situation de guerre presque ouverte. Les Kurdes, les chrétiens et les alaouites restent pour le moins méfiants – avec raison – sans même parler de la grande majorité du reste des Syriens, et des Syriennes, peu emballés à l’heure d’ouvrir grand les bras à ces djihadistes reconvertis. «L’Europe ne financera pas de nouvelles structures islamistes», résumait Annalena Baerbock, la cheffe de la diplomatie allemande. «Mais elle apportera son soutien», complétait-elle. La quadrature du cercle La quadrature du cercle n’est pas plus simple pour Al-Joulani/Al-Charaa lui-même. Que faire de ses anciens compagnons de route, surtout les plus guerriers d’entre eux? Comment rétablir l’ordre, éviter les vengeances, respecter et faire respecter les minorités, relancer l’économie d’un pays qui ne demande certes que cela, mais qui a été laissé en miettes par la mafia dictatoriale qui l’a précédé? De son point de vue, il s’agit de surcroît d’éviter de se faire damer le pion par «l’opposition de l’étranger» qui n’a certes pas servi à grand-chose ces dernières années, mais qui attend elle aussi son tour… Lire aussi: A Idlib, laboratoire de la Syrie de demain: «Al-Joulani essaie de plaire aux Occidentaux, mais ça ne durera pas» Le nouvel homme fort de Damas a réclamé quatre ans avant d’organiser des élections. Une éternité qui est sans aucun doute inacceptable, même dans ce pays où tout est à faire. Mais si elle veut se montrer utile, l’Europe doit faire preuve d’humilité et reconnaître sa part de responsabilité dans la profonde tragédie qu’ont traversée les Syriens. Dans ce très complexe puzzle syrien, elle aurait ainsi tout à gagner à éviter la double tentation de la condescendance et de la moralisation, qui semblait parfois guetter ses deux représentants à Damas.