Maroc - LE TEMPS - Tous - 19/Dec 10:54

Mazan, Gisèle et nous tous

ÉDITORIAL. Le procès des viols de Mazan a abasourdi le monde et provoqué une large conversation sociétale sur les violences sexuelles et les rapports hommes-femmes. A l’heure du verdict, il est de notre responsabilité de transformer collectivement la prise de conscience en actesIl a fallu passer par un choc frontal pour ouvrir les yeux. Un mari, Dominique Pelicot, qui drogue son épouse, Gisèle Pelicot, durant une décennie pour la violer et la faire violer par d’autres. Des dizaines et des dizaines d’hommes recrutés sur internet qui entrent par effraction dans l’intimité d’un corps inerte. Des vidéos prouvant l’horreur. Il a fallu passer par le procès hors norme des viols de Mazan pour se représenter à large échelle ce que sont les violences sexuelles, la diversité des profils de ceux qui les commettent, ce qu’elles font et surtout ce qu’elles détruisent. Partout, tout le temps, pendant que vous lisez ces lignes.En autorisant le monde à entrer dans le tribunal et dans son enfer, Gisèle Pelicot a renversé la table de la honte saisissant si souvent les victimes. Elle en a fait un fauteuil de dignité pour toutes ces autres femmes que la violence masculine a colonisées. La médiatisation a été immense, l’écho international, la conversation collective complexe intégrant tant les femmes que les hommes, les prises de conscience réelles.Lire aussi: Procès des viols de Mazan: Dominique Pelicot déclaré coupable de viols aggravés et condamné à 20 ans de prison Ne pas nous arrêter en chemin A Avignon, le verdict vient de sceller le destin des 51 coaccusés: tous sont reconnus coupables, et les peines infligées vont de 3 ans de prison, dont 2 avec sursis, à 20 années de réclusion pour Dominique Pelicot. Alors que cette audience historique est levée, il est de notre responsabilité en tant que société de ne pas nous arrêter en chemin. Parce que l’affaire de Mazan est la pointe d’un iceberg qui ne demande qu’à continuer d’émerger. Un continent où une femme sur cinq, en Suisse, a déjà subi des actes sexuels non consentis. Où 92% des victimes n’ont pas porté plainte et où 90% n’ont même pas contacté la police, notamment par honte, peur qu’on ne les croie pas ou parce qu’elles pensaient que ce serait vain (gfs.bern pour Amnesty International Suisse, 2019). S’y trouvent aussi ces adultes toujours murés dans le silence de l’inceste qu’ils ont vécu enfants. Et toutes ces personnes qui n’ont pas de preuves tangibles de ce qui s’est joué entre quatre murs, quatre yeux, et a volé une part de leur être.Ne pas s’arrêter en chemin, c’est accepter, chacun, chacune, que celui-ci ne se pavera que collectivement. C’est éduquer nos enfants au respect inconditionnel et au consentement. C’est avoir la droiture de se demander si on a pu un jour avoir des comportements déplacés – ou pire – et les assumer. C’est avoir la finesse d’extraire la lutte contre les violences sexuelles d’un infertile débat opposant «progressistes» versus «réactionnaires». Et le courage d’agir à notre échelle, de nos arènes politiques à nos commissariats de police, de nos cours de justice à nos lits conjugaux. Même quand c’est inconfortable, déstabilisant ou critiqué. Gisèle Pelicot a agi. A nous de prouver que nous pouvons le faire aussi. Nos amours, nos nuits et nos lendemains le méritent. Notre grand format: Viols de Mazan: un procès à l’écho colossal. Et maintenant, qu’en gardera-t-on?