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Israël veut annexer Gaza et vider le territoire de ses habitants, et continue d’étendre son emprise sur la Cisjordanie. Mais ce projet de Grand Israël, poursuivi par le gouvernement Nétanyahou sous la pression de son aile droite, pourrait sonner le glas du pays. Isolé diplomatiquement, divisé au plan domestique, il est pris dans une fuite en avant dont on voit mal l’issue.A Téhéran, une horloge numérique géante décompte les jours qui restent avant la fin de l’Etat hébreu. Installée Place de Palestine, elle donne corps à la prophétie de l’ayatollah Ali Khamenei, lorsque celui-ci a promis, à l’issue de la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en 2015, qu’Israël («le régime sioniste») ne verrait pas les 25 prochaines années. Chaque jour, à en croire la propagande iranienne, nous rapproche de la fin d’Israël, qui ne verra pas 2040.Laissons aux Iraniens les élucubrations de leur Guide suprême. Hélas, il n’est pas besoin d’un despote à la barbe blanche et aux mains rouges du sang de son propre peuple pour prophétiser, si ce n’est la destruction, au moins la fin d’Israël pour ce qu’il a été ces dernières décennies, à savoir une démocratie à peu près viable dans un Moyen-Orient chaotique, et une terre d’accueil possible pour les Juifs désireux de changer de monde.Depuis l'attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023, qui a coûté la vie à 1180 Israéliens et entraîné l’enlèvement de 251 otages, la société israélienne vit dans une tension permanente, mêlant trauma, patriotisme, colère et incertitude. Si le choc initial a suscité une réaction unanime de solidarité, les mois qui ont suivi ont mis au jour dans le pays des fractures profondes sur le plan social, politique et moral, sans pour autant que la population israélienne ne prenne conscience des souffrances qu’elle était en train d’infliger aux Gazaouis.La guerre à Gaza n'est pas seulement un conflit armé; elle est devenue un miroir impitoyable de l'âme israélienne et de ses dissensions existantes depuis le début de sa courte histoire. Dissensions qui menacent aujourd’hui directement la cohésion, et par conséquent la survie de l’Etat hébreu. Bref retour sur la genèse des événements. Une mobilisation sans précédent Dans les jours qui ont suivi, près de 360’000 réservistes ont été mobilisés. Des scènes d'enrôlement massif, mêlées de larmes et de détermination, ont été largement diffusées. L’écrivain Etgar Keret notait: «Cette fois, ce n’est pas une guerre débattue ou discutable, c’est une guerre qui s’impose à tous comme nécessaire, vitale.» Une union sacrée s’est formée dans le pays, même parmi les détracteurs historiques de Benyamin Nétanyahou.Cependant, cette solidarité initiale a été minée au fil du temps par l'accumulation des morts, l'échec des négociations pour les otages, les conditions humanitaires à Gaza et la lassitude croissante d'une guerre longue et coûteuse. On compte en effet que cette guerre coûte, chaque jour, entre 200 et 300 millions d'euros à l'Etat.Le sort des otages, toujours détenus à Gaza pour une vingtaine d'entre eux, est devenu le cœur brûlant du débat public. Chaque semaine, leurs familles manifestent à Tel-Aviv, à Jérusalem, exigeant un accord définitif de libération. «Rendez-nous nos enfants, maintenant!» scande l'association Forum des familles d'otages.Un père, Yehuda Cohen, dont le fils Nimrod est toujours détenu à Gaza, confiait le 7 juillet dernier, lors d’une manifestation devant la Maison-Blanche: «[Il faut que Donald Trump] force Nétanyahou à cesser cette guerre et trouver un arrangement pour les otages.» Ce discours, autrefois minoritaire, a pris de l'ampleur, notamment parmi les jeunes générations, moins enclines au sacrifice au nom de principes stratégiques abstraits. Pourtant, les déclarations de Nétanyahou selon lesquelles Israël se prépare à envahir et occuper la totalité de Gaza douchent les espoirs d'un quelconque sauvetage des derniers otages restants. Dans l'éventualité d'une telle attaque, il fait peu de doute que ceux-ci soient définitivement éliminés, soit par leurs gardiens, soit par l'armée israélienne elle-même. Fatigue de guerre Avec plus de 65'000 morts dont 70% de femmes et d'enfants, selon le ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas mais dont les statistiques sont jugées crédibles par les instances internationales, la guerre à Gaza a déclenché une vague de critiques à l’étranger, et nous y reviendrons. Mais les levées de boucliers sont aussi domestiques. La sociologue franco-israélienne Eva Illouz écrivait dans Haaretz: «Le droit à l'autodéfense ne saurait être un blanc-seing pour la destruction d’une société entière.»Un sondage de l'Israel Democracy Institute de février 2024 indiquait que 59% des Juifs israéliens considéraient alors la guerre comme «juste et nécessaire». Un an et demi plus tard, la tendance s’est complètement inversée: en septembre 2025, 62% d’entre eux se prononcent en faveur d’un accord sur les otages avec le Hamas, un arrêt des hostilités et le retrait des troupes israéliennes de Gaza. Fait nouveau, c’est le cas d’une majorité des Israéliens ayant voté pour trois des quatre partis de la coalition au pouvoir. Seuls les électeurs du Parti sioniste religieux, le parti suprémaciste juif de Bezalel Smotrich, continuent de soutenir en masse la guerre et l’occupation, voire l’annexion, de Gaza. Un génocide, où ça? Mais même les Israéliens qui désirent un arrêt aux combats n’affichent pas, pour la plupart, les mêmes raisons que les populations d’Europe, des Etats-Unis et du reste du monde. Ces dernières sont écœurées par les massacres insensés de civils, surtout de femmes et d’enfants, des massacres de plus en plus souvent qualifiés de génocide. Les Israéliens sont avant tout sensibles, comme on l’a vu plus haut, à la question des otages. En effet, qu'ils soient opposés ou non à l’action de Nétanyahou et la guerre à Gaza, la grande majorité des Israéliens demeure apparemment insensible, ou aveugle, au sort des civils palestiniens massacrés sans relâche depuis bientôt deux ans. L’accusation de génocide, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, glisse sur eux comme l’eau sur les plumes d’un canard.La perception de ces accusations est dominée, en Israël, par une lecture défensive de leur action. Dans la majorité juive israélienne, les enquêtes récentes montrent qu’une large part de la population considère l’opération militaire comme une réponse légitime aux attaques du Hamas, et rejette fermement l’emploi du terme génocide. Ce mot est largement perçu comme une arme politique destinée à délégitimer l’existence même du pays. Les médias généralistes et la rhétorique officielle insistent sur l’idée d’une lutte existentielle, inscrite dans un contexte de menace permanente et nourrie par la mémoire de l’Holocauste.Face à cela, une minorité active – composée d’universitaires, de journalistes, et de militants de défense des droits humains – affirme que l’ampleur des destructions et le nombre très élevé de victimes civiles palestiniennes correspondent, au moins partiellement, à la définition juridique d’un génocide. Leur discours reste toutefois marginal, souvent stigmatisé, et parfois réprimé. Tous à Chypre Ainsi, la population israélienne se stratifie et se divise à la fois. Travaillée par ses fractures multiples, elle a commencé à s’effriter et à perdre la force de son unité, condition sine qua non de sa survie. Cela se traduit notamment par le départ d’un nombre croissant de citoyens. Depuis plusieurs années, et plus encore depuis 2025, Chypre est devenue un point d’ancrage important pour ceux-ci, comme refuge temporaire en période de crise, voire comme lieu d’installation durable. Il faut également souligner que Chypre est un lieu crucial dans la vie des Israéliens: en effet, comme Israël ne reconnaît pas le mariage civil, un divorce ne peut s’obtenir qu’à l’étranger. Nombreux sont donc les Israéliens laïcs qui choisissent Chypre, à la fois pour se marier et pour divorcer.En juin 2025, la fermeture de l’espace aérien israélien, consécutive aux bombardements contre l’Iran, a conduit des milliers d’Israéliens à se retrouver bloqués à Chypre, notamment à Larnaca et Limassol, faute de vols pour rentrer. Certains ont tenté de rejoindre Israël par la mer, tandis que d’autres attendaient la reprise des liaisons aériennes. On estime qu’environ 6500 personnes se trouvaient ainsi simultanément coincées sur l’île.Au-delà de cet épisode conjoncturel, Chypre accueille une présence israélienne en constante augmentation. Aujourd’hui les chiffres officiels évoquent seulement 2500 résidents permanents, mais plusieurs experts estiment que le nombre réel se situe entre 12’000 et 15’000, notamment en raison de la double nationalité ou de l’usage de passeports européens. Juifs contre juifs L'une des conséquences de cette guerre, on l’a dit, est l’accentuation des clivages au sein de la société israélienne elle-même. Les accusations de négligence visant Nétanyahou, son ministre de la Défense et les responsables du renseignement se multiplient. Des généraux à la retraite, comme Yitzhak Brick, ont publiquement appelé à la démission du gouvernement. «Ce n’est pas seulement une défaillance militaire, c’est une faillite du leadership.»A la télévision française, l'historien et ancien ambassadeur d'Israël en France Elie Barnavi déclarait en mai 2025: «Il y a des génocidaires au gouvernement d'Israël, ils le proclament tous les jours. Ils disent “nous voulons tuer tout le monde, nous voulons tout détruire”.»Le cœur de ces tensions se cristallise sur l'armée et son rôle dans la guerre en cours. Tsahal reste l’institution la plus respectée du pays. Elle est perçue, non seulement comme un rempart physique, mais aussi comme un pilier de l’identité nationale. Pourtant, depuis le début de l’offensive, plusieurs associations et voix internes dénoncent une crise de commandement. Selon les chiffres de mai 2025, environ 30% des réservistes – un chiffre en augmentation exponentielle – ne se sont pas présentés au bureau de recrutement, ce qui indique qu'une partie désormais considérable de l'armée est entrée en opposition frontale avec son gouvernement, et avec la guerre en cours.Sans compter le cas des Arabes israéliens. Avec 2 millions de citoyens qui représentent près de 20% de la population, ils vivent cette guerre dans un silence tendu. D'un côté, ils condamnent les exactions du Hamas. De l'autre, ils subissent une montée de la stigmatisation. Des cas de licenciements ou de suspensions d'étudiants arabes pour des publications jugées ambiguës sur les réseaux sociaux se sont multipliés. L'ONG Adalah a recensé plus de 110 cas de violations des droits à la liberté d’expression entre octobre 2023 et mars 2024. «Je ne peux ni soutenir le Hamas, ni applaudir les bombes sur Gaza. Alors je me tais», nous confie anonymement un médecin arabe israélien de Haïfa. Le problème des haredim Il existe un éléphant au milieu de la pièce, qu’on ne peut pas ne pas manquer. Les haredim, les juifs ultra-orthodoxes, ont pratiquement fait sécession avec le reste de la société. Jusqu’à tout récemment, ils étaient exemptés de fait de service militaire. Même maintenant que la loi a changé, suscitant des heurts politiques majeurs, la communauté s’applique à ne pas servir, au risque d’apparaître déconnectée de la douleur collective. «Mes fils sont au front, pendant que les leurs étudient la Torah à Bnei Brak,» témoigne Rachel, mère de soldats.Mais comme l’expliquait récemment au Monde l’économiste Dan Ben-David, directeur de l’institut Shoresh (Université de Tel-Aviv), le problème est beaucoup plus profond. Les haredim reçoivent une éducation religieuse, centrée sur l’étude de la Torah et des traditions religieuses, mais leur niveau d’éducation générale est très faible, pas du tout à la hauteur d’une économie développée comme celle d’Israël. Ils n’étudient pas les sciences, ne parlent pas anglais, et vivent en vase clos dans une communauté coupée du monde.«Un petit groupe porte tout le pays sur ses épaules: environ 300’000 personnes travaillant dans les technologies, le médical et les universités, sur 10 millions d’habitants», rappelle Dan Ben-David. Or, l’équation démographique de base ne laisse aucun doute: les juifs ultra-orthodoxes, lancés dans une course à la natalité avec les Arabes israéliens, ont en moyenne six enfants par femme. Ils représentent actuellement 13,5% de la population du pays, une proportion qui double toutes les générations.Economiquement, le pays va dans le mur, et ceux qui occupent actuellement les postes les plus importants et prestigieux ne vont pas éternellement donner le change. Certains vont vieillir, d’autres vont partir – beaucoup l’ont déjà fait – et l’on voit mal comment la start-up nation pourrait adopter une autre trajectoire que déclinante, avec les conséquences sociales et politiques qui en découlent. La fin du soutien inconditionnel de l'Occident Quant au soutien à Israël, il n’a pas disparu mais il n’est désormais plus inconditionnel. Il est conditionné à des exigences humanitaires, politiques et diplomatiques qui vont crescendo, et finiront par mettre le gouvernement Nétanyahou et les suivants au pied du mur. Comme le résume l’analyste israélien Alon Pinkas: «Ce n’est pas une rupture, mais une réévaluation. Israël ne peut plus tenir pour acquis le soutien de ses alliés sans offrir une stratégie de sortie et une vision politique.»Les opinions publiques occidentales ont basculé au fil des longs mois de massacre à Gaza et d’opérations aventureuses dans la région, dont les frappes au Qatar tout récemment, de sorte que Tel-Aviv est en train de perdre un à un ses derniers soutiens internationaux. Même l’allié américain, sans qui le destin d’Israël dans la région paraît compromis, donne parfois des signes d’agacement vis-à-vis des ambitions de Nétanyahou et ses ministres, sans pour autant menacer d’un quelconque retrait d’aide financière ou militaire à ce stade.A bout, la plupart des pays occidentaux qui ne l’avaient pas déjà fait ont décidé de reconnaître la Palestine, à l’occasion de la 180e assemblée générale de l’ONU et à la grande fureur de Tel-Aviv. Il n’est guère plus que l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie et la Suisse pour temporiser encore, alors que la France fait désormais figure de chef de file des pressions et – nouveauté – entend bien porter le fer des sanctions commerciales. Nous y reviendrons dans un prochain épisode.A l’issue de la «guerre des Douze jours», en juin dernier, l’armée israélienne a indiqué avoir détruit, dans une de ses frappes aériennes, la fameuse horloge de l’apocalypse qui trône, tel un doigt d’honneur, sur la Place de Palestine à Téhéran. Des journalistes sont allés vérifier sur place. Las, Tel-Aviv a pris ses désirs pour des réalités.Le monument trône toujours au même endroit, affichant son décompte funeste.
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