Savoir fait partie de ces termes courants aux acceptions si diverses qu’on finit par ne plus les interroger. Dans un monde saturé d’informations,...
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Il existe un espace pour un combat, quant aux savoirs dispensés à l’école, entre les classes dominantes qui luttent pour que l’école permette le maintien de la distribution inégalitaire de la société et une réponse progressiste aux trois éléments qui définissent une politique scolaire. Qui est scolarisé et comment ? Quels savoirs sont étudiés ? Et comment le sont-ils ? Certains savoirs qui font partie de la culture humaine nécessitent des moments d’étude systématique. L’école s’est imposée universellement pour ce faire si ça doit concerner la masse du peuple. Mais l’école sous responsabilité étatique n’échappe pas au mélange inévitable de l’étude des savoirs en eux-mêmes et de sa fonction « d’appareil idéologique d’État » pour reprendre les termes d’Althusser. Cette instruction s’accompagne aussi de la discipline des corps et des comportements, en adéquation avec le maintien du pouvoir des dominants. Le « théorème de Brecht » On ne peut donc imaginer une école pleinement démocratique dans une société inégalitaire. Les classes dominantes luttent pour que l’école permette le maintien de la distribution inégalitaire, en réduisant au minimum nécessaire les outils mis à la disposition du grand nombre, tout en permettant le contrôle des esprits. Mais ceci n’est pas incompatible avec le « théorème » énoncé par Berthold Brecht. « Les classes dirigeantes, dans le dessein d’opprimer et d’exploiter les masses, doivent investir chez celles-ci de telles quantités de raison d’une telle qualité que l’oppression et l’exploitation s’en trouvent menacées…Pour maintenir leur domination, elles ont besoin d’un potentiel de raison chez les masses égales à celui dont les masses ont besoin pour supprimer leur domination ». Il y a donc un espace pour un combat quant aux savoirs dispensés à l’école. Avec une réponse progressiste aux trois éléments qui définissent une politique scolaire. Qui est scolarisé et comment ? Quels savoirs sont étudiés ? Et comment le sont-ils ? La culture commune En réponse à la première question, les luttes populaires se sont toujours guidées sur le principe d’une éducation commune de longue durée. Alors que le camp d’en face en tient pour des ségrégations de tous types. Un temps les filles séparées des garçons. Des filières différentes pour les enfants de la bourgeoisie et les autres avec une scolarité brève pour ces derniers. Ce camp réactionnaire a été mis sur le recul par la nécessité objective d’augmenter le niveau éducatif général mais surtout par les rapports de force sociaux d’après-guerre. Depuis des décennies sa contre-offensive est globale et ne cesse pas. En France par exemple par le développement des deux systèmes concurrents, privé et public. Et par la volonté constante de mettre les établissements de ce dernier en concurrence sous prétexte « d’autonomie ». Tout cela sur fond de sous financement attesté y compris par les statistiques de la très libérale OCDE. Et en plus désormais la caporalisation accrue du corps professoral, l’entame de la fin du collège unique, l’accentuation du démantèlement de l’enseignement professionnel. Or cette question de l’école commune donne le ton de ce qui domine entre une école au service des intérêts, à courte vue qui plus est, des dominants et ceux venant « d’en bas ». Avec un effet direct sur la société à venir. Mais il faut parvenir à penser en même temps le développement de l’individu (plus la diversité des individus) et le projet politique inévitablement collectif, et en partie contraignant, d’une École commune. Plus généralement, comment se garder d’imposer de fait le point de vue des classes et groupes dominants sous couvert d’un « universel » abstrait ? En finir avec les hypocrisies d’une « École Républicaine » fantasmée, farouchement élitiste, incapable de relever les défis contemporains d’une éducation de masse. Et rejeter symétriquement une certaine position « postmoderne », fascinée par l’émiettement du corps social, qui n’hésite pas à faire d’une donnée de fait (la déchirure du corps social, la concurrence et les inégalités en son sein) une valeur positive au plan de la symbolique. Et qui propose de se tourner vers une différenciation généralisée du système éducatif en fonction de chaque enfant, de chaque communauté culturelle, de chaque territoire. Deux orientations opposées, mais dans les deux cas c’est le projet même d’une École pour tous qui est remis en cause. Dans une perspective émancipatrice, il faut au contraire mettre les valeurs collectives et la notion d’égalité au cœur de la conception de la démocratie. Avec ce rappel de Hannah Arendt qui signalait que l’existence d’une culture commune était une condition première de la démocratie. Le choix des savoirs dispensés Mais même en maintenant ce projet d’école commune, la deuxième question, « quoi enseigner » est loin de parler d’elle-même ! En effet de la masse innombrable des savoirs humains, seule une toute petite part est scolarisée quoi qu’on en ait. La solution serait simple si l’on disposait d’un « savoir des savoirs », dont l’acquisition dispenserait d’étudier les autres au même titre. Mais il n’en est pas ainsi. Si l’on veut dominer la pratique de la physique et celle du football, il faut étudier les deux. Certes il existe des éléments communs au foot et au basket (par exemple le jeu sans ballon pour s’écarter d’un adversaire), comme il y en a entre la physique et la biologie. Mais la spécificité a vite fait de dépasser le commun. La seule « discipline » qui en impose en généralité, c’est l’entrée dans les pratiques écrites. Jack Goody a montré les écarts considérables entre les sociétés à transmission écrite et celles liées à l’oral. C’est d’ailleurs pourquoi, alors que la nature et la hiérarchie des disciplines varient considérablement à travers les systèmes scolaires mondiaux, toutes les écoles sans exception introduisent à l’écrit. Ceci d’ailleurs donne une indication quant aux choix possibles. Donner la priorité à des savoirs qui ouvrent sur beaucoup d’autres savoirs. Mais, à part l’écrit donc, ce critère est loin d’imposer sa férule si aisément. On peut se laisser guider par des cibles telles que les suivantes. Permettre aux élèves de dominer leurs relations à la nature, la relation aux autres et enfin à soi-même. Et permettre de modifier ces relations si besoin. Mais ce sont là des formules très générales on le voit bien. On peut alors s’appuyer sur les trois entrées suivantes pour guider le choix des matières soumises à l’étude scolaire (en dehors de l’entrée dans les pratiques écrites donc). La question qui suit est celle du choix des œuvres en question, transformées ensuite en « disciplines » scolaires. Nous sommes tellement habitués aux choix qui ont guidé notre propre scolarité qu’on perd de vue à quel point ce choix peut être varié. En France on note une rupture fondamentale en 1902, qui rehausse l’importance des entrées scientifiques à côté des humanités classiques. Mouvement qui s’est poursuivi jusqu’à nos jours avec une importance toujours plus grande donnée aux premières. Transmission des œuvres et de leurs outils donc. Mais pour permettre en même temps la formation de l’esprit critique. Ce qui se résume bien dans la fière déclaration de Condorcet : « On a dit que l’enseignement de la constitution de chaque pays devait y faire partie de l’instruction nationale. Cela est vrai, sans doute, si on en parle comme d’un fait…Mais si on entend qu’il faut l’enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle…, alors c’est une espèce de religion politique que l’on veut créer…Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger…». On mesure l’écart avec l’exigence contemporaine d’enseigner « les valeurs de la République » sans jamais dire qu’elles restent à établir en permanence. La question à résoudre prend alors la forme suivante : étant donné que les écoles ne peuvent traiter convenablement qu’une part infime des savoirs humains, quels sont les « besoins sociaux en savoirs communs » ? Ainsi, contrairement à l’intuition, même les savoirs professionnels ne peuvent pas être laissés entre les mains du patronat, puisqu’il n’est pas établi que le marché capitaliste s’orientera de lui-même en fonction des besoins objectifs. On peut le mesurer aux dispositions à créer pour aborder les métiers, souvent eux-mêmes à inventer, liés à la nécessaire bifurcation écologique. Et, comme il n’y a aucune réponse automatique à ces questions, quelle procédure démocratique pourrait guider ces choix politiques ? Il faut bien reconnaître que l’on manque d’une réponse générique à cette question ! Des diversités dans le commun Ceci devrait aussi tenir compte des questions suivantes : comment ne pas écraser les points de vue des diverses composantes sociales ? Comment ne pas contribuer à constituer les différences en inégalités, du fait même du travail d’unification ? Je propose quant à moi de prendre en compte dans ce questionnement ce qui est présenté parfois comme « une coupure avec la vie », mais qui souvent, si c’était effectif, ne serait en fait qu’un manque de certaines « œuvres » à mettre à l’étude. Il me semble par exemple que les « besoins en savoirs » concernant la santé, si palpables dans la vie courante, gagneraient à être bien plus présents à l’école. Suivant la même idée (besoins en savoirs dans la vie courante) il me semble que tout ce qui relève des relations humaines et des relations à la nature devrait plus systématiquement être présent. Et cela concerne des « œuvres » existantes par exemple dans le domaine des sciences humaines (droit, sciences politiques, psychologie, sociologie) qui pourraient être systématisées. Et il resterait la question compliquée entre toutes des références « technologiques » justement par la difficulté à choisir lesquelles exactement. Bien entendu on peut aussi discuter du contenu précis de certaines disciplines déjà présentes (avec le cas emblématique de la question coloniale en histoire par exemple). Ceci soulevant d’ailleurs une question plus globale. Le temps scolaire est contraint et de plus changer les maîtres des disciplines enseignées ne peut se faire si facilement. C’est inévitablement un processus lent, qui mélange nouvelles formations et modifications internes aux disciplines existantes. Enfin, même si ce n’est pas développé ici, il reste le troisième point qui caractérise une politique scolaire, « la question pédagogique ». Même si on vise l’étude des mêmes œuvres, on n’obtient pas la même formation selon les approches. Il reste donc en conclusion à insister sur ce qui apparaît comme une contradiction. Il n’y a pas de politique progressiste en matière d’éducation visant à la fois une culture commune riche et des citoyen-ne-s maîtres de leur pensée puis de leur destin qui ne mette pas au centre la nature des savoirs étudiés. Or la martingale qui permettrait d’en maîtriser démocratiquement le choix ne me paraît pas immédiatement disponible. Voilà un chantier de plus, et de taille. Peut-être faudrait-il explorer la mise en place de conventions sur le modèle de celle réunie sur le climat qui a permis une réelle maîtrise des problématiques correspondantes, même si ses conclusions ont été ignorées. Le débat reste ouvert… Samy JohsuaProfesseur émérite en sciences de l’éducationAix-Marseille Université
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