ÉDITORIAL. Malgré sa dimension sportive, la spéléologie n’a rien d’une simple recherche d’adrénaline. Lorsqu’ils plongent dans la nuit...
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Cédric Lachat et David Parrot explorent les profondeurs des montagnes. La quête de ces deux aventuriers passionnés: rejoindre des gouffres mythiques à travers l’obscurité pour résoudre les mystères qui sommeillent sous l’écorce terrestreCasqués, gantés, équipés de harnais et de mousquetons, les explorateurs Cédric Lachat et David Parrot s’enfoncent dans une cavité nichée au cœur d’une forêt enneigée, et se glissent sous la terre. Le poids des montagnes au-dessus de leur tête, ils avancent dans leurs viscères. Ils vont parcourir des centaines de mètres de galeries, de méandres et d’étroitures, franchir des rivières, descendre des cascades en rappel, escalader des parois glissantes, tout cela dans le froid, l’humidité, l’eau glacée, sans parler du noir absolu, percé par les minces faisceaux des lampes frontales. Le terme «spéléologie» vient du grec spelaion, signifiant «antre», et logos, «discours». Cette pratique s’apparente à une sérieuse chasse au trésor, dans un sanctuaire inviolé où reposent les traces du passé.L’ambiance est celle du début du film On a marché sous la terre, réalisé par Alex Lopez et présenté au Festival du film d’aventure de Paris fin janvier, et qui a remporté de nombreux prix, dont le Diable d’or «exploration et aventure» au Festival des Diablerets en 2023. Il retrace la tentative de ces deux explorateurs de relier le gouffre de la Fromagère au mythique gouffre Berger, dans le massif du Vercors. On connaissait Cédric Lachat pour ses prouesses en escalade, mais moins pour sa quête de verticalité abyssale. Pourtant, tout jeune, son père l’emmène dans les grottes du Jura. Il a 10 ans, un topo entre les mains (le topo est un livre petit format qui décrit précisément un itinéraire), et déjà, il explore, creuse, inspecte, avant même de faire de l’escalade. «J’ai toujours fait de la spéléo dans ma vie, en parallèle de tous mes autres projets.» David Parrot, lui aussi issu de l’escalade, découvre la spéléo au même âge que son camarade, qu’il rencontre lors d’un stage fédéral, alors qu’ils préparent leur diplôme d’Etat. Personne ne prononce «spéléologue», c’est trop académique, «spéléo», c’est plus direct et désigne autant la personne que l’activité. Une «simple» cavité nichée au cœur d’une forêt enneigée peut receler des centaines de mètres de galeries. — © Alex Lopez Etre bon grimpeur est un atout: «Je vois des similitudes dans la gestuelle, mon niveau en escalade me permet d’être plus agile, plus rapide. Au fond des trous, avec David, on y va en trois heures, alors qu’un spéléo irait en six heures. Notre gestuelle est devenue efficace grâce à la grimpe», reconnaît Cédric Lachat. Pour autant, il ne retrouve pas le plaisir charnel et sensoriel du toucher de la roche. «Je ne suis pas un passionné psychopathe qui aime le milieu, ce n’est pas comme en falaise, c’est froid, c’est glauque, c’est l’inconnu, je déteste me mouiller, je déteste me cailler.» Alex Lopez, qui l’a suivi caméra au poing durant toute la durée du film, explique: «C’est son métier d’engager, c’est avant tout un sportif qui aime se confronter aux challenges les plus fous. Les gens connaissent moins ce côté de sa personnalité. C’est un mec on ou off, il donne tout pour le projet qu’il a décidé de mener et quand ce n’est plus le moment, il n’y a plus personne. La générosité qu’il dégage aux images est réelle. Son personnage, c’est lui, c’est sa vie.»Pour David Parrot, les grottes sont un refuge, un cocon déconnecté du quotidien, un espace de liberté, un diamant brut qui n’aurait pas livré tous ses secrets. «C’est mon exutoire, j’ai besoin de la spéléo et je trouve qu’il y a des grottes très esthétiques.» Alex Lopez complète: «C’est une pratique qui lui permet de trouver un équilibre, il y met une énergie vitale. Il est impressionnant à voir, car c’est une passion inévitable.» Les deux hommes se retrouvent tous les deux dans le goût pour l’exploration. Loin du ciel, et le nez dans la terre, le rêve ultime reste de traverser la montagne de bout en bout par ses boyaux souterrains. «Ça s’apparente à une conquête spatiale, on découvre de nouveaux endroits, on passe là où personne n’a jamais été», illustre David Parrot. Dans l’espace, chaque relief est photographié au télescope. Rien de tel sous terre. En spéléologie, une première exploration repose sur une simple probabilité. Et quand le passage n’existe pas, il faut l’inventer. L’objectif: découvrir quelque chose dont nous ignorons tout, dont l’existence même reste incertaine. Au seuil de la caverne commence un autre monde, une aventure vers l’inconnu.Lire aussi: A 70 mètres sous terre, 500 jours en paraissent «160 ou 170» Au bout des limites L’exploration devient vite une obsession. Le Vercors recèle un labyrinthe de galeries, anciens drains creusés par l’eau dans les sédiments avant la surrection des Alpes. Le gouffre du Berger a longtemps été le plus profond du monde. En 1955, une équipe pionnière s’y est aventurée pour la première fois, descendant à 1000 mètres, inscrivant ainsi un moment clé dans l’histoire de la discipline. Tout proche, le réseau de la Fromagère attire également de nombreux passionnés. L’objectif était de trouver une jonction dans des galeries sèches. «Il y a 14 ans, je suis venu dans le Vercors pour devenir moniteur de spéléo, animé par l’envie de relever les défis les plus difficiles. J’ai contacté Emmanuel Gondras, qui cherchait à réaliser cette jonction en explorant les différentes escalades possibles. C’était un véritable challenge. Je me suis engagé dans cette aventure, et j’ai vite compris que c’était un travail sans fin. Ce point d’interrogation, qui reste suspendu, peut rendre fou. On sait qu’il y a quelque chose, mais il faut trouver. Dans cette quête, on atteint des limites phénoménales, c’est comme une drogue, on est obligé de continuer même quand on n’en a plus envie», confie Cédric Lachat. «On s’engage dans des explorations intergénérationnelles, prenant le relais de ceux qui n’ont pas pu poursuivre cette quête. Ce qui est fascinant, c’est l’absence de carte, l’idée d’être seuls face à l’inconnu. Il faut chercher, étudier la géologie, tenter de comprendre comment tout cela s’est formé. C’est un travail de longue haleine, parfois il faut des années pour espérer trouver des réponses à nos interrogations», poursuit David Parrot. «C’est un travail de longue haleine, parfois il faut des années pour espérer trouver des réponses à nos interrogations», explique David Parrot. — © Alex Lopez Les spéléologues ne vivent pas de satisfactions immédiates, leur démarche est différente. C’est une autre façon d’habiter le temps. Ils sont des travailleurs de l’ombre, de véritables fourmis. Mais contrairement à un groupe organisé, ils forment une poignée d’irréductibles. Il faut du temps, de l’opiniâtreté et donc de la discrétion. Ils restent discrets, mais le secret renforce l’espoir de faire une découverte majeure. Quand ils ressortent épuisés, boueux, le sourire aux lèvres, le grand public s’en étonne. Il s’en détourne parfois sans avoir idée de ce qui se joue dans cet autre monde auquel il se refuse à accéder. Si l’alpinisme a ses stars et ses lettres de noblesse, la spéléologie reste dans l’ombre, loin d’une rampe dont les feux ne brilleront jamais sous terre. Aujourd’hui, les sportifs de l’extrême réalisent des exploits, immortalisés par des vidéos chargées d’adrénaline qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux. Il leur suffit d’embarquer une caméra ou de piloter un drone depuis leur téléphone portable. Ainsi va la vie en surface. En spéléologie, c’est tout l’inverse. Pas de lumière flatteuse, pas de mise en scène de soi, pas d’images à couper le souffle, car il est complexe de filmer ces cavités. Ici, l’exploration l’emporte sur la performance, préfère la quiétude aux éclats de gloire, et quoi qu’il arrive, les spéléos savent au fond d’eux que leurs empreintes sous terre restent indélébiles.Rares sont les projets autour des abîmes. Qui voudrait se glisser bien vivant dans les fractures du sol? L’idée heurte une sensibilité qui trouve ses racines au plus profond de l’être. C’est une démarche presque contre nature, qui s’oppose à notre conception de la vie, censée être lumière, venant uniquement de l’extérieur. Alex Lopez, le réalisateur d’On a marché sous la terre, souhaitait justement redorer le blason de la spéléo: «J’espère que nous sommes à un tournant. Dans l’alpinisme, les hommes ont longtemps été portés au rang de héros. Et dans les récits qui façonnent notre quotidien, on aime suivre des histoires de héros. C’est ainsi, qu’on l’accepte ou non. Mais avec cette histoire au gouffre de la Fromagère, portée de cette manière à l’écran, je sens qu’une nouvelle dimension s’installe. Jusqu’ici, en spéléologie, on refusait cette logique de rivalité. Tout le monde était à égalité, avec un esprit presque anarchiste, comme en escalade il y a 20 ou 30 ans. Pourtant, avec David et Cédric, les gens se sont pris au jeu. Il faut bien l’admettre: la spéléologie n’a jamais autant occupé le devant de la scène. Pour moi, cela prouve que, dans nos manières de raconter, nous avons besoin de nous identifier à des personnages forts et inspirants.»Lire aussi: Comment les alpinistes sont devenus des héros populaires Cette pratique requiert un équipement adapté: casque, gants, harnais, mousquetons et bien sûr des lampes frontales permettant de voir et d’avancer dans l’obscurité la plus totale. — © Alex Lopez Une révolution de la discipline A la fin du documentaire, la jonction n’est pas découverte. Cédric Lachat déclare: «Moi, je n’y crois plus.» Mais le 29 décembre 2024, elle est finalement réalisée par nos deux protagonistes. Plus qu’une première, cette jonction révolutionne l’exploration souterraine. En reliant directement le réseau profond du gouffre Berger, elle ouvre l’accès à des galeries encore inexplorées, élargissant le champ des possibles pour les générations futures. Elle incarne l’héritage des spéléologues d’hier et l’élan de ceux de demain. Ce fut, pour les deux compagnons et pour toute l’équipe, une explosion de joie collective. Il est difficile d’expliquer l’émotion d’une découverte, après des années passées à la traquer. C’est une alliance entre effort physique intense, où corps et esprit sont poussés au-delà de leurs limites, et quête scientifique menée dans une dynamique de groupe. Mais nous avons compris qu’un trou n’est jamais fini, il poursuit sa route, seul, dans d’impénétrables ténèbres.«Je ne sais plus si je suis content, s’il y a du soulagement, je n’en sais rien, car ça ouvre encore plein de portes, on va pouvoir accéder au fin fond du réseau du Berger, je suis fatigué! C’est sans fin, et en même temps je ne pourrais pas m’empêcher d’y retourner, jusqu’à ce que l’âge me rattrape; d’autres générations prendront ensuite le relais.» David Parrot revient sur le fait que la spéléo ambitionne de devenir une science et ses prétentions ne sont pas illégitimes. Elle réunit de nombreuses spécialités, qui vont de la géophysique à l’hydrologie et couvrent la plupart des sciences du vivant. «De nombreuses communes du Vercors dépendent de l’eau souterraine pour l’alimentation en eau potable. La spéléologie joue donc un rôle crucial dans la gestion de cette ressource pour les années à venir», souligne-t-il.Le passionné de spéléologie ne s’attarde guère sur l’analyse. L’exploration se vit comme une nécessité impérieuse, un appel auquel il répond sans toujours en sonder les raisons profondes. C’est une forme de croyance, sans doute, mais surtout une crainte qu’une compréhension trop intime ne l’amène à renoncer. David Parrot rappelle que cette discipline, souvent mal perçue – à tort, car les accidents restent rares –, fascine les enfants autant que les adultes, à condition qu’ils soient bien accompagnés. Pour tous, chaque mètre gagné sous terre devient une véritable aventure. L’essentiel est de savoir s’il est possible d’avancer: élargir un passage, trouver un contournement. C’est ce défi qui rend l’exploration si captivante. Dans le film, la paroi est ruisselante, l’éclairage des frontales qui se reflètent sur l’eau lui donnerait presque un aspect organique. Le décor se répète à l’infini et devient plus profond au fur et à mesure de la progression. A moins que cette caverne ne soit qu’une partie d’eux-mêmes, une excroissance de leur inconscient, un labyrinthe tissé au fil de leurs pensées. C’est leur esprit qui a modelé le réseau qu’ils découvrent ici. Dans leurs grottes, ces deux hommes restent sauvages, insaisissables, énigmatiques, à l’image des montagnes qui les ont façonnés. Dans les grottes, les deux hommes restent sauvages, insaisissables, énigmatiques, à l’image des montagnes qui les ont façonnés. — © Alex Lopez
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