Maroc - LE TEMPS - Tous - 19/Jun 07:23

Mohamed Almusibli, l’accueil avant tout

A 33 ans, le Genevois dirige depuis le 1er mars la Kunsthalle de Bâle. Il représente une nouvelle forme de présence au monde de l’art, mélange d’acuité numérique et d’aisance relationnelle, un vivre-ensemble plutôt qu’une hiérarchisationA peine Genève a-t-elle eu le temps de faire connaissance avec Mohamed Almusibli que le voici à la tête de la Kunsthalle de Bâle, le plus ancien, et pas le moins dynamique, des centres d’art de Suisse. Nous lui avons rendu visite dans ses nouveaux quartiers pendant Art Basel. Trois mois après son arrivée, le 1er mars dernier, il faisait face à l’agenda qu’impose au monde de l’art bâlois la semaine la plus intense de l’année. De quoi accélérer son intégration.Nous lui avons dit que c’était pour un portrait de lui mais il a commencé par nous emmener faire un tour des expositions programmées par sa prédécesseure, l’Etats-unienne Elena Filipovic, nommée à la tête du Kunstmuseum de Bâle. La fonction d’hôte semble primordiale chez ce commissaire d’exposition, né en 1990 à Sanaa, au Yémen, arrivé à Genève à 4 ans déjà.### Une ou deux pièces en espace d’exposition C’est d’ailleurs en hôte qu’il recevait à Cherish, en proche banlieue de Genève. Entre 2019 et 2023, dans ce vaste appartement d’un immeuble promis à la démolition, lui et ses colocataires (les jeunes artistes James Bantone, Thomas Liu Le Lann et Ser Serpas, à qui succédera la curatrice Marguerite Mikanowski) ont régulièrement transformé une ou deux pièces en espace d’exposition. Des artistes locaux alternaient avec d’autres venus de loin, accueillis en résidence. Cette imbrication entre vie quotidienne et pratique de l’art, tout comme la manière de travailler en commun, est significative d’une souplesse d’esprit et d’une créativité qui ont vite fait reconnaître le petit lieu indépendant en Suisse et à l’international. Cherish était par exemple invité à la première édition en 2022 du fourmillant off d’Art Basel qu’est le Basel Social Club. Quand l’expérience démarre, Mohamed Almusibli revient de Zurich avec un bachelor en art et théorie des médias, qu’il complète à la HEAD-Genève avec un work.master, diplôme où les artistes sont justement invités à prendre des risques avec de nouveaux formats, des pratiques plus participatives. Le jeune homme se profile en effet aussi en tant qu’artiste, même si pour l’instant il a mis de côté sa pratique. Ses œuvres sont liées à l’expression, à la narration. Il estime que ce goût pour les histoires est fondateur dans son désir de culture, dès son enfance, nourrie de lectures, et que c’est aussi lui qui lui fera entamer à Genève des études en histoire de l’art, avec un intérêt prononcé pour l’art médiéval, avant la Haute Ecole d’art de Zurich.  Zurich où, en 2014 ou 2015, Andrea Bellini, directeur du Centre d’art contemporain, se souvient avoir rencontré pour la première fois l’étudiant, avec qui il se lie d’amitié. «Il était déjà très impliqué dans la scène émergente. Il est devenu un curateur qui accompagne les artistes. Il vit, il voyage avec les artistes, il est très humain. C’est d’ailleurs le seul personnage de mes _Storie dell’arte contemporanea_ [un recueil de nouvelles satiriques parues en italien aux Editions Timeo, ndlr] dont j’ai gardé le prénom.» ### Une extension numérique En 2020, Andrea Bellini confie à Mohamed Almusibli une sélection de vidéos récentes produites par des artistes de Suisse, pour le 5e étage du Centre, c’est-à-dire son extension numérique, essentielle en ces temps pandémiques. _L’Almusibli Panorama,_ diffusé sur une année avec 20 000 connexions par mois, n’est pas pour rien dans la reconnaissance du curateur. Qui fera aussi partie de la petite équipe formée par Andrea Bellini pour choisir parmi plus de 800 dossiers les artistes de _Lemaniana_, vaste exposition-portrait de la scène locale en 2021. En 2022, Mohamed Almusibli curate seul _The Puppet Show,_ exploration des emplois de la marionnette dans l’art contemporain. Quand on demande au directeur de la Kunsthalle de Bâle des noms de commissaires d’exposition inspirants, il s’enflamme pour la vague de jeunes curatrices et curateurs qui «apportent un vent frais», comme Myriam Ben Salah à la Renaissance Society de Chicago, ou, à Paris, Rebecca Lamarche-Vadel à Lafayette Anticipations, et Cyrus Goberville, qui dirige la programmation culturelle, notamment musicale, de la Bourse de commerce – Pinault Collection. ### Un mentor Et bien sûr, il reconnaît en Andrea Bellini une sorte de mentor, grâce au travail accompli à ses côtés et à leurs échanges, qui vont continuer. Tout comme devrait se maintenir le lien tissé avec Beatrix Ruf, figure incontournable de l’art et découvreuse de talents reconnue. Mohamed Almusibli avait entamé une collaboration avec elle pour la Hartwig Art Foundation, à Amsterdam, avant d’être nommé à Bâle. La qualité de ce réseau relationnel tissé sur le net et dans la vraie vie peut aussi se mesurer à la lettre de soutien, munie de 2500 signatures venues de partout, qui l’a aidé à faire face à la campagne insidieuse menée lors de sa nomination. Celle-ci faisait planer le doute sur ses capacités en allemand et sur un possible antisémitisme, parce qu’il avait signé deux pétitions pour la paix à Gaza diffusées dans le monde de l’art. La polémique oubliée, le jeune curateur prépare ses premières expositions, qui commenceront par une artiste bâloise. D’ici là, il s’occupera aussi de la Regionale, un rituel annuel de la Kunsthalle impliquant nombre d’institutions des trois côtés de la frontière. Le format semble parfait pour lui. * * * ## Profil 1990 Naissance à Sanaa, Yémen. 1994 Arrivée à Genève. 2019 Ouverture de Cherish, lieu de vie et d’exposition. 2022 Master à la HEAD, après un bachelor à Zurich. 2024 Directeur de la Kunsthalle de Bâle depuis le 1er mars.