Maroc - LE TEMPS - Tous - 30/Aug 18:20

Le Jukebox d’août: Empire of the Sun, Beabadoobee, Norna...

Tous les derniers vendredis du mois, les mélomanes de la rédaction vous proposent leur sélection des dernières sorties. L'été se termine sur les beat «dance» d'Empire of the Sun, la comète pop Beabadoobee et les guitares colériques du trio suédo-jurassien NornaEmpire of the Sun, songes d’une nuit d’été Pratique pour les blind tests: seize ans après sa sortie, on reconnaîtrait _Walking on a dream_ en quelques secondes à peine, tant il a imprégné nos cervelets. En 2008, ce tube d’Empire of the Sun, synthés planants sur ligne de basse sautillante, proposait exactement ce que décrit son titre: un tour dans un songe rétrofuturiste irrésistible. Ou dans une Honda Civic, marque qui avait repris le tube pour une pub. De quoi ériger, à l’époque, le duo australien en maître des charts et des dancefloors, digne concurrent des Américains de MGMT – adeptes eux aussi d’une électropop aux échos _eighties_, au falsetto agile et à l’excentricité colorée. Deux albums et huit ans de hiatus plus tard, Luke Steele et Nick Littlemore – ayant visiblement apaisé les tensions volcaniques qui couvaient entre eux – reviennent avec _Ask That God,_ un album qui porte leur patte: la voix mâtinée d’effets de Steele ondoie toujours sur des rythmes qui explosent dans des refrains à la fois rêveurs et entraînants – les tubes _Changes_ et _Cherry Blossom_ se posant en descendants directs de _Walking on a dream_. Dans leurs éternelles tenues de dieux fous, les Australiens continuent à bâtir leur univers un peu illuminé, où les riffs rétros côtoient les beats _dance_ (comme dans l’excellent _Television_). Tout n’est pas renversant dans ces 12 titres, mais l’écoute a quelque chose d’exaltant, comme une longue soirée d’été qui ne ferait que commencer. **Virginie Nussbaum** Empire of the Sun, «Ask that God» (Emi Music Australia) * * * ### Kacey Musgraves, la country libre  Alors que le monde n’a d’yeux que pour Taylor Swift, présentons sa cousine. Le lien de parenté est musical uniquement: Kacey Musgraves, d’un an son aînée, a elle aussi grandi dans le milieu de la country, avant de s’en extirper pour un rodéo pop d’une longévité honorable. Couronné ce printemps par un sixième album, qui connaît ce mois-ci une nouvelle version étendue – l’occasion de parler d’une chanteuse qui reste discrète de ce côté-ci de l’Atlantique. Au début des années 2000 déjà, la Texane, biberonnée comme il se doit à la mandoline et à l’harmonica, sort ses premiers albums en indépendante. En 2012, elle rejoint l’écurie Mercury Nashville et, l’année suivante, son premier album studio se verra gratifié du Prix du meilleur album country aux Grammy Awards. Elle a 24 ans, pose en bottes de cow-boy et son timbre délicat sur des entrelacs de guitares et de banjo façon honky tonk. Depuis, Kacey Musgraves a grandi et s’est émancipée de son terreau d’origine, teintant sa palette musicale d’autres influences, et de thématiques loin du conservatisme sudiste – évoquant ouvertement la prise de drogue ou son soutien à la communauté LGBT. Dans _Deeper Well_, elle revisite son divorce, en 2020, avec le musicien Ruston Kelly dans des ballades pop-folk acoustiques. Un univers réflexif et apaisé, loin de la quête tubesque de Taylor Swift, où la simplicité et les harmonies cicatrisent. Pour qui n’est pas allergique au sentimentalisme, Kacey Musgraves offre une bande-son douce comme un après-soleil. **V. N.** Kacey Musgraves, «Deeper Well: Deeper into the Well» (MCA Nashville Records) * * * ### Beabadoobee, doux phénomène  Son nom de scène se chante plus qu’il ne se dit, ce qui en soi est déjà un régal. Et Beabadoobee a justement une de ces voix qu’il serait regrettable de ne pas exploiter: un timbre clair et juvénile, falsetto impeccable qui flotterait sur n’importe quelle surface. En l’occurrence sur des paysages pop-rock qui ne passent pas inaperçus. A 24 ans, Béatrice Laus de son nom de ville a fait tinter les radars anglo-saxons – et celui de Taylor Swift, dont elle a assuré la première partie. Tout commence en 2019. Son _Coffee_, bulle traînante et charmante comme une grasse matinée, est reprise par le rappeur canadien Powfu – et explose. De là, cette Londonienne aux racines philippines développe un univers entre douceur et guitares nineties, ravissant la génération TikTok dont elle capture la nostalgie. Mais plus qu’un phénomène internet, Beabadoobee révèle, dans son troisième album, sa jolie palette. Chapeauté par le producteur Rick Rubin, vétéran qui a officié pour Jay-Z ou les Red Hot Chili Peppers, _This Is How Tomorrow Moves_ évolue gracieusement entre ballades angéliques, riffs rétros et échos de bossa-nova – il fallait au moins ça pour décrire la montagne russe qu’est l’âge adulte. Une playlist légère et soignée qui, à défaut de fracasser, flotte comme le fumet d’un bon café. **V. N.** Beabadoobee, «This Is How Tomorrow Moves» (Dirty Hit) * * * ### Hugh Coltman, la poésie des ombres  _Maybe I’m Afraid_. Le titre du single est moins un aveu de faiblesse qu’une mise à nu, douce confidence déballée sur fond de guitare prévenante et de caisse claire qu’on caresse. De quoi parfaitement résumer l’atmosphère, à cœur ouvert, de _Good Grief_, le sixième album de Hugh Coltman qui débarque après six ans d’absence. Une nouvelle ère pour le chanteur qui en a connu plusieurs. Après une première vie au sein du groupe de blues-rock The Hoax, ce natif de Bristol établi en France a balancé entre mélodies jazz-folk et hommages aux géants – à Nat King Cole, Chet Baker ou plus récemment à la légende de Louisiane Dr. John. Derrière ses petits airs de dandy et son timbre velouté, le plus _frenchy_ des crooners anglais couvait un trou noir. Après la perte de son père en 2019, puis d’un ami cher à la sortie du covid, le fonceur est pris d’un vertige, et ne voit plus l’intérêt «d’ajouter un disque sur un tas de disques». Jusqu’à ce que l’inspiration se débloque, que les ombres se libèrent. En ressort _Good Grief_, où Hugh Coltman déverse tout_._ Deuil, crise du père ou du quinqua, choc devant l’inhumanité du monde. Des fêlures enrobées d’un manteau jazzy moelleux et épuré, comme on convoquerait l’espoir. Exemple parfait avec le premier titre, _Take Away,_ sa contrebasse traînante et son éclatante mélancolie. Enregistré dans un manoir parisien avec un _band_ bien rodé, l’album, sincère, fragile, promet des lendemains apaisés. Une consolation. **V. N.** Hugh Coltman, «Good Grief» (Sony Masterworks) * * * ## Norna, plongée dans l'athanor  S'il fallait construire un assemblage métaphorique susceptible de décrire sensitivement la musique de Norna, il serait nécessaire de convoquer toute une série d'images: un mouvement de balancier, la fonte (en tant qu'alliage de fer et de carbone), les éjections de vapeur d'une machine sous forte pression, et certainement une bête cuirassée dont les états d'âme oscilleraient entre une mélancolie lourde et une colère sombre. En termes de classement chez les disquaires, on est clairement ici dans une forme métallique fuligineuse, au tempo prétorien et à la distorsion imbibée. A la barre de ce navire: un Suédois (Tomas Liljedahl, ancien de chez Breach et The Old Wind) et deux Jurassiens (Christophe Macquat et Marc Theurillat, que l'on connaît pour leur travail dans Ølten). Cet album dépourvu de titre est le deuxième du projet Norna, après _Star is way way is eye_ en 2022. Le titre inaugural, _Samsara_, déboule par effraction (chute de batterie, chant de colère et guitares en lames de fond); le cambriolage se poursuit pendant une quarantaine de minutes. Vous êtes ligotés par des riffs qui sont plutôt des câbles à haute tension mis en résonance, et c'est une expérience magnifiquement brute. **Philippe Simon** Norna, «sans titre» (Pelagic Records) * * * **Nos Jukebox précédents** - [**Juillet:** Cigarettes After Sex, Childish Gambino, Towa Bird…](https://www.letemps.ch/culture/musiques/le-jukebox-de-juillet-cigarettes-after-sex-childish-gambino-towa-bird) - [**Juin:** Lenny Kravitz, Tems, Evelinn Trouble…](https://www.letemps.ch/culture/musiques/le-jukebox-de-juin-lenny-kravitz-tems-evelinn-trouble) - [**Mai:** Billie Eilish, Dua Lipa, Cyril Cyril](https://www.letemps.ch/culture/musiques/le-jukebox-de-mai-billie-eilish-dua-lipa-cyril-cyril) … [et tous nos jukebox](https://www.letemps.ch/dossiers/pop-folk-electro-nos-jukeboxes).