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Maroc Maroc - LE TEMPS - Tous - 12/Sep 07:04

Henrik Ahr: maître des espaces

Après avoir déjà conçu le plateau de Parsifal, Jenůfa et Katia Kabanova au Grand Théâtre, Henrik Ahr est le scénographe de la prochaine production de Tristan & Isolde. Architecte de formation, il aime les espaces qui laissent libre cours à l’imaginaire des spectateurs« Les critiques disent souvent que mes décors sont vides. S’ils savaient le travail et l’énergie qu’il faut pour les construire ! » Henrik Ahr dit cela avec le sourire. Il est vrai que les critiques sont en général élogieuses pour les spectacles dont il signe les décors épurés. L’architecture est reine : elle impose ses contraintes ou offre ses libertés. Il y a beaucoup de murs, qui avancent, reculent, façonnent le paysage intérieur des protagonistes, définissent le champ de leurs possibles. Henrik Ahr : « L’espace vide est celui de la solitude, auquel tout protagoniste est d’une manière ou d’une autre confronté. » — © Elsa Okazaki L’espace architectural entre en vibration avec le corps des êtres qu’il contient, il imprime une relation sensible avec lui. Henrik Ahr est un maître en la matière. On se souvient, dans Parsifal de Wagner, début 2023 au Grand Théâtre, des hautes parois qui enserraient les chevaliers du Graal, ce monde en noir et blanc peu à peu taché de sang. Ou dans Jenůfa, de Janáček, en 2022, cette pyramide de bois clair, enfermement aux couleurs de la nature russe, dont l’héroïne tentait d’escalader l’escalier pour monter au ciel du bonheur, que le destin et la mesquinerie des hommes lui refusaient. « L’espace vide est celui de la solitude, auquel tout protagoniste est d’une manière ou d’une autre confronté – comme nous le sommes nous-mêmes, n’est-ce-pas ? Et les parois sont pour moi des césures entre les mondes. Il y a toujours des univers qui se confrontent dans un opéra. Les portes, les fenêtres, les ouvertures sont les chevilles qui permettent ce contact. Je suis très inspiré par Le Corbusier et Mies van der Rohe, avec sa notion d’espace flexible. Soit il s’élargit, soit il rétrécit, soit il se dissout. Pour Otello de Verdi, par exemple, que j’ai dessiné avec le metteur en scène Michael Thalheimer au Deutsche Oper am Rhein, les personnages surgissaient de partout : de portes, de meurtrières ouvertes dans les murs, du sol… La scène devenait l’espace mental d’Otello, et toute l’action de l’opéra une sorte de délire hallucinatoire ». Il évoque aussi, pour Macbeth de Verdi, une sorte de gigantesque half-pipe qui encombrait la scène : les personnages y tombaient comme dans un piège, sans possibilité d’en réchapper. Dans cette seule image prenait forme la cruauté du livret shakespearien. Cette capacité à concevoir des « architectures d’atmosphère », comme les nomme Henrik Ahr, découle de son parcours atypique. D’abord cuisinier (« Je n’étais pas convaincu mais j’ai voulu terminer mon apprentissage »), il se rêve peintre. Il passe quelques temps à Francfort où un ami l’initie au monde de la danse : le ballet y est dirigé par le grand William Forsythe dont le dynamisme et le sens rythmique le subjuguent. Puis il entame des études d’architecture à Leipzig, tout en poursuivant sa pratique artistique. Engagé par un studio d’architectes, il est chargé de mener les études pour la rénovation du Théâtre d’Iéna, dans l’ex-Allemagne de l’Est. Il s’y trouve si bien qu’il est engagé comme assistant, puis comme scénographe à demeure. ![Esquisses du décor de Tristan et Isolde, qui verra « la collision de deux cosmos », selon l’intention du metteur en scène Michael Thalheimer. — © Henrik Ahr](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/b3f823f3-4ce7-455a-9345-315bbc400186/large "Esquisses du décor de Tristan et Isolde, qui verra « la collision de deux cosmos », selon l’intention du metteur en scène Michael Thalheimer. — © Henrik Ahr") Le théâtre domine les premières années de sa carrière, et une rencontre va l’infléchir. Admirateur du metteur en scène Michael Thalheimer, une des grandes pointures du théâtre allemand, il en fait la connaissance à Berlin par un ami. Un coup de foudre artistique va réunir les deux hommes, qui produiront un nombre impressionnant de pièces puis d’opéras dans les plus grandes institutions du pays, et au-delà. La même électricité créatrice se reproduira quelques années plus tard avec Tatjana Gürbaca, qui vit à Berlin elle aussi, et qui a signé avec lui Jenůfa et Katia Kabanova de Janáček au Grand Théâtre. Depuis lors, Henrik Ahr ne travaille plus qu’avec ces deux metteurs en scène, dont les productions sont constamment reprises, de Hambourg à Zurich, de Vienne à Amsterdam. À quelques rares exceptions près, toutefois : il a ainsi collaboré avec le directeur du Ballet du Grand Théâtre, Sidi Larbi Cherkaoui, pour Satyagraha de Philip Glass, à l’Opéra de Bâle, en 2017. L’opéra a désormais pris l’ascendant sur le théâtre, mais Henrik Ahr et Thalheimer ont encore monté Le Procès d’après le roman de Kafka au Thalia Theater de Hambourg l’an dernier. Leur premier ouvrage lyrique, ce fut Rigoletto de Verdi à Bâle, en 2005. « L’opéra est très différent du théâtre car à la dramaturgie et à la mise en scène s’ajoute l’essentiel : la musique ! La musique est un langage polysémique, comme l’image. Comme elle, elle convoque un autre registre de perception que l’intellect. Une image a ce pouvoir d’agir aussi rapidement que la musique. » ![Henrik Ahr a déjà collaboré avec le metteur en scène Michael Thalheimer à Genève, il y a deux saisons, et déjà dans Wagner : c’était pour Parsifal, dans un univers en noir et blanc surmonté de hautes murailles, lieu d’enfermement des chevaliers du Graal. — © Carole Parodi / Grand Théâtre Genève](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/fa54d248-ab67-40b5-9ff4-19845026cc86/large "Henrik Ahr a déjà collaboré avec le metteur en scène Michael Thalheimer à Genève, il y a deux saisons, et déjà dans Wagner : c’était pour Parsifal, dans un univers en noir et blanc surmonté de hautes murailles, lieu d’enfermement des chevaliers du Graal. — © Carole Parodi / Grand Théâtre Genève") Henrik Ahr retrouve Michael Thalheimer pour Tristan et Isolde qui marque l’ouverture de la nouvelle saison du Grand Théâtre. « Mon sixième opéra de Wagner », annonce-t-il. Comment travaillent ensemble ces deux hommes qui se connaissent si bien ? « Nous commençons bien sûr par échanger des idées sur l’ouvrage. Puis j’élabore un projet. Par chance (je croise les doigts), tout ce que j’ai proposé a toujours passé la rampe du premier coup. Nous nous comprenons à demi-mot avec Michael Thalheimer. Ensuite, chacun travaille de son côté. Bien sûr, nous restons en contact pendant cette période, mais quelques mots-clés nous suffisent à communiquer ». Lorsque son dispositif est au point, le travail de Henrik Ahr n’est pas terminé pour autant. Même s’il est rarement disponible pour l’ensemble des répétitions, car il enseigne et dirige le département de scénographie à l’Université Mozarteum de Salzbourg, il tâche d’y assister autant que possible. Ce sera le cas pendant les six semaines de travail à Genève pour Tristan et Isolde. « Bien sûr, on ne peut pas changer les éléments constitutifs d’un décor deux semaines avant la première, mais j’aime travailler avec l’équipe de mise en scène pour affiner notre réflexion commune sur la manière dont les éclairages, les costumes, les partis pris de mise en scène fonctionnent en relation avec l’espace. » Pas plus que Michael Thalheimer, Henrik Ahr ne revendique un regard politique sur les ouvrages qu’il monte. « Il y a bien sûr de magnifiques exemples de théâtre politique, comme celui de Milo Rau, mais je suis plus intéressé par la question de savoir pourquoi nous existons. Les metteurs en scène avec lesquels je fais équipe sont eux aussi concentrés sur les moments archétypiques de l’existence. L’opéra, c’est toujours une trajectoire qui va de la naissance à la mort. Tous les opéras posent cette question. Je ne prétends pas avoir de réponse, bien sûr. Et je ne pense pas être plus malin que les spectateurs. Mon travail propose donc toujours des espaces ambivalents, où l’imaginaire de chacun peut se déployer. Ils tentent de souligner les évolutions, les transformations des personnages et de leur monde. Je n’aime pas imposer, je déteste souligner. Quand la musique est grande, je me fais petit. Mon objectif, c’est d’ouvrir un espace à la mise en scène. Avec une forme d’abstraction qui laisse toute la place aux personnages. Et qui respecte les chanteurs. Tristan et Isolde est d’une difficulté folle pour les deux chanteurs principaux : l’acoustique du décor doit donc en tenir compte. Le plus beau, dans une production, c’est lorsque tous les participants partagent le même enthousiasme à faire vivre la scène. Je propose une description atmosphérique dans laquelle le metteur en scène et le génie des chanteurs peuvent opérer. » * * * Né à Bensberg, dans la région de Cologne, **Henrik Ahr** a suivi un apprentissage de cuisinier puis des études d’architecture à Leipzig avant de commencer son travailde scénographe à Iena en 2000. Deux ans plus tard, il entame sa collaboration avec le metteur en scène Michael Thalheimer pour un premier spectacle, Liebelei de Schnitzler au Thalia Theater de Hambourg. Il est depuis 2010 enseignant et directeur du Département de scénographie de l’Université Mozarteum de Salzbourg. Au Grand Théâtre, Henrik Ahr a signé les décors de Jenůfa et Katia Kabanova de Janáček (mis en scène par Tatjana Gürbaca), et de Parsifal de Wagner (mis en scène par Michael Thalheimer). * * * **_Tristan & Isolde_** au Grand Théâtre de Genève Du 15 au 27 septembre 2024 [www.gtg.ch/tristan-isolde](https://www.gtg.ch/saison-24-25/tristan-isolde/?utm_source=letemps&utm_medium=gtm&utm_campaign=2425_tristan-isolde_gtg_ltm) [Billetterie](https://billetterie.gtg.ch/selection/event/date?productId=10229166760137&utm_source=letemps&utm_medium=gtm&utm_campaign=2425_tristan-isolde_ltm)

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